La salle des profs, les risques du métier

Dans un climat de suspicions, délations et insinuations douteuses, İlker Çatak transforme un collège en microcosme allégorique d'une Allemagne confondant autorité et autoritarisme. Un exercice, étouffant et étonnant, réussi haut la main.


Des vols au sein d'un collège, un interrogatoire psychologiquement éprouvant, un innocent hâtivement suspecté… Une série d'événements malheureux vont envenimer l'atmosphère d'un établissement tranquille et troubler le quotidien d'une enseignante, Carla Nowak (excellente Leonie Benesch, découverte adolescente dans Le Ruban Blanc). Remplaçante arrivée en cours d'année, complexée par ses origines polonaises, elle veut à tout prix « s'assimiler ». D'abord, dérangée par les méthodes disciplinaires employées et leur impact sur les élèves, elle se laisse entraîner dans une spirale infernale.

L'enfer c'est les autres

İlker Çatak prend à rebours le pensum engagé sur le milieu éducatif pour mettre en scène un thriller en huis clos, tendu et oppressant. La mise en scène, en apparence austère avec son format carré, enserre les personnages, les prive d'espace. Elle ne laisse aucun répit à un spectateur embarqué dans un suspense haletant et crescendo. Dans cette configuration, le récit prend l'allure d'un cauchemar éveillé aux relents paranoïaques. Le réalisateur ausculte un milieu fermé où tout finit par se savoir : personne n'est fiable, rien n'est sûr.

Ici, les personnages ne sont que leur fonction au sein de la classe (professeurs ou élèves), on ne sait rien ou presque de leur vie privée. Il s'agit moins d'un angle mort que de zones d'ombre sciemment disséminées. Elles brouillent encore un peu plus les pistes quant aux délits constatés dans l'établissement. La résolution, l'identité du ou de la coupable, se révélera progressivement secondaire.

Zéro de conduite

L'ancrage dans le genre intensifie la peinture d'un microcosme au bord de l'explosion. Allégorie d'une Allemagne confrontée aux problématiques contemporaines (préjugés, racisme, autoritarisme, tribunal médiatique), l'école y est dépeinte non comme un lieu d'apprentissage où les « sachants » seraient dévoués à leurs élèves, mais comme une société miniature.

Les réputations se font et se défont, les enfants, débarrassés de leurs oripeaux angéliques se posent en censeurs, et les adultes, ne peuvent qu'assister impuissants aux excès de leur « tolérance zéro ». Incapables de répondre à la colère autrement que par la répression, ils dérivent de leur mission éducative première. En creux, Çatak observe un corps enseignant à bout de souffle, face à une nouvelle génération qui refuse de se laisser faire, quitte à mettre son avenir en danger. L'ultime plan, miroir inversé du final de Zéro de conduite de Jean Vigo, résume en une image ce terrible constat d'échec.

La Salle des profs 
D'İlker Çatak (All, 1h39) avec Leonie Benesch, Michael Klammer, Rafael Stachowiak, Anne-Kathrin Gummich...
Sortie le 6 mars


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