L'eau qui ne coulera jamais à Parilly

Au confluent de Bron, Vénissieux et Saint-Priest, déroulent les 178 hectares du parc de Parilly. On aurait pu y faire du pédalo l'été, mais on a eu un hippodrome à la place. Comment donc en est-on arrivé là ? Une escapade pour remonter jusqu'au XVe siècle, explorer métaphoriquement les abords du périph' et faire le tour des légendes urbaines qui ont marqué le périmètre. 


L'aventure commence en 1934. Emile Bollaert, préfet du Rhône, met tout en œuvre pour donner à l'est lyonnais un poumon vert qui rivalise avec le parc de la Tête d'Or. Première étape, le terrain ! L'endroit choisi est une zone peu urbanisée, faite de champs réputés pas très fertiles et de hameaux entre Bron et Vénissieux : le quartier de Parilly. 

Le projet des confins

Au cours des siècles, ce bout de territoire, a souvent fait l'objet de querelles de frontières. Pour les comprendre, rendez-vous sur le périphérique :  avez-vous déjà entendu parler du virage de la femme morte, juste à côté de la gare de Parilly ? Les siècles ont passé, personne ne sait vraiment à quelle dame blanche on fait référence : même le Guichet du savoir, le service de la bibliothèque qui a traditionnellement réponse à tout (et qui fêtera ses 20 ans en mars) a donné sa langue au chat. 

La dame blanche du périphérique : une légende urbaine qui a plus de 500 ans

Il semblerait qu'il faille plutôt chercher du côté du métro pour en savoir plus sur cette mystérieuse femme. Pour cela, remontons 400 ans en arrière : imaginez que la place sur laquelle se tient l'arrêt de la ligne D "Parilly" est un carrefour un peu plus minimaliste. Il s'appelle à l'époque… le Triévon de la Vieille Morte. 

Ce nom nous est parvenu grâce à une querelle de clocher, qui revient régulièrement sur le tapis depuis le XVe siècle. Les habitants de Vénissieux, Bron, Saint-Priest et Corbas se sont plusieurs fois disputé la zone : Louis XI puis Henri IV ont dépêché des émissaires pour faire le tour de la question. Comment a-t-on tranché ?  L'histoire n'en dit pas plus sur la délimitation des communes, ni sur la femme derrière ce nom mystérieux.

On sait juste qu'elle aurait été trouvée là, le corps recouvert d'un monticule de cailloux. Et au XVe siècle déjà, on l'appelle la Vieille Morte, pas pour l'âge qu'elle aurait eu au moment de son décès, mais en raison de l'ancienneté de cette tombe, dont on n'a gardé qu'un nom de virage de périphérique. Voilà comment se construisent les légendes urbaines : en empilant des noms mystérieux au fil des siècles sans conserver de trace de l'élément déclencheur qui pourrait être tristement banal, encore aujourd'hui. Dur rappel à la réalité : rien que depuis le début de l'année, on compte 34 féminicides. 

Si vous craignez les apparitions de type dame blanche, rassurez-vous : aucun risque de phénomène accidentogène, l'endroit a été doté d'un radar.

Un périph' pour les bateaux 

Si on en revenait au parc ? Dans les années 30, au moment où l'on commence les travaux pour aménager Parilly, un autre projet titanesque voit le jour : celui d'un canal périphérique pour les bateaux, qui permettrait de relier Pierre Bénite à Miribel… avec un tunnel sous la colline de Parilly. On a creusé pendant plus de 20 ans, simultanément avec la conception du parc, mais le projet n'a jamais abouti (vous le sauriez sinon, car Vénissieux serait traversé par un canal).

La faute à quoi ?  Une conjonction de plusieurs facteurs : un défaut de main d'œuvre, dû à une vague d'enrôlements pour la guerre d'Algérie, une grogne générale, tant de la part des politiques que des riverains et une envolée du coût des travaux. Projet abandonné en 1960, pas de périphérique pour les bateaux, ni de tunnel mystérieux sous le parc : pour les légendes urbaines, on repassera. 

Compte là-dessus et bois de l'eau fraiche

Cette fois, revenons-en vraiment à notre parc de Parilly. Le projet retenu en 1936 pour aménager ces 210 hectares (pile deux fois plus grand que le parc de la Tête d'Or qui en fait 105) est ambitieux : stade, gymnase, piscine, terrains de tennis, un zoo et surtout, deux lacs. Un petit qui, après le gel en hiver, fera office de patinoire et un grand lac d'agrément. Le projet de patinoire parait irréel aujourd'hui avec nos hivers qui ne gèlent plus. C'était il y a moins de 100 ans. 

On commence à creuser le lac en 1937 avec des bulldozers. On a aussi commandé 300 000 arbres pour agrémenter le futur parc. À titre de comparaison, il y a actuellement un peu plus de 105 000 arbres dans la métropole de Lyon (si on exclut les jardins privés et les parcs). Deux ans plus tard, la Seconde Guerre mondiale éclate. Les habitants du coin coupent les arbres fraîchement plantés pour pouvoir se chauffer, on transforme les espaces vides en champs pour pouvoir se nourrir. Emile Bollaert, quant à lui, est relevé de ses fonctions en 1940 car il refuse de prêter serment au maréchal Pétain. Il entre dans la résistance alors que son projet de parc reste à l'état de friche.

Qu'est devenu le grand projet de lac ? Un habitant du quartier témoignait en 1984 : « Quand il a été terminé, pour bien dire, prêt à mettre en eau, il y a déjà eu des problèmes pour amener l'eau, et puis ils se sont aperçu que… comme c'était tout du gravier, avec la nappe phréatique dessous, eh bien tout… l'eau, elle avait passé tout droit. Elle n'était pas restée. » Une erreur hydrologique monumentale ?  Autre hypothèse, plus historique : au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il y a d'autres priorités que l'aménagement du parc de Parilly. Le projet est donc revu à la baisse. Moins d'hectares, adieu le lac et la patinoire, bonjour les jeunes plants qu'on va chercher dans les forêts du Beaujolais. 

Il aura fallu plusieurs décennies pour combler le vide laissé par le fantôme du lac, avec un hippodrome, en 1965. Il reste quand même un peu d'eau au parc de Parilly : un château d'eau, construit en 1955, encore en service aujourd'hui. Il est alimenté par les canaux de Miribel et Jonage. Cette eau ne passe par aucun périphérique, mais la boucle est quand même bouclée ! 

Prolonger la balade, en vrai ou en pensée

Sources :


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