« On marche au quotidien sur des joyaux patrimoniaux, sans le savoir »

Bastien Grégis et Stéphane Moneger, respectivement président et vice-président de l'OCRA (Organisation pour la connaissance et la restauration d'au-dessous-terre) œuvrent bénévolement à la promotion du patrimoine souterrain de la métropole de Lyon depuis sept et dix ans. Des ouvrages qui suscitent la curiosité, mais qui ne sont pas valorisés autant que le souhaiterait l'association.


Aujourd'hui, l'OCRA compte plus de 50 bénévoles. Parmi eux  des guides professionnels et des scientifiques. Comment tout a commencé, à Lyon ?

Bastien Grégis : l'association a eu 20 ans en 2021. Elle a été fondée par des bénévoles de l'OCRA Paris. Trois-quatre copains qui ont voulu reproduire le modèle à Lyon dix ans après la capitale. Aujourd'hui, notre noyau dur est toujours entre les deux villes, et nous sommes membres de la Société française d'étude des souterrains (SFDS).

On participe d'un grand écosystème associatif qui a pour objet d'étude principal les souterrains aménagés, qu'on peut aussi dire anthropiques, dus à l'existence et à la présence d'humains. Il y a des associations comme nous un peu partout en France. Paris évidemment, autour, notamment, des fameuses catacombes, mais aussi des carrières dont on entend moins parler. On oublie aussi qu'il y a des souterrains anthropiques dans de nombreuses régions : de la Touraine à la Picardie, en passant par les anciens bassins miniers, les villes médiévales…

Cependant, nous sommes assez uniques, car peu d'associations ont choisi d'axer leur travail autour de la préservation du patrimoine. On a vraiment pris le biais de la médiation culturelle, notamment grâce aux conventions qui nous permettent de valoriser le fort de Vaise et les souterrains de Caluire en les faisant visiter. Les autres associations explorent la thématique avec un angle plus scientifique, archéologique par exemple.

Quelles sont les histoires des souterrains que vous faites visiter au fort de Vaise et à Caluire ?

Stéphane Moneger : Au fort de Vaise, il s'agit d'une "galerie de fusillade", elle appartient à la fondation Jean-Jacques Renaud. À la base, il s'agissait d'un ouvrage semi-enterré en forme de « Z », qui permettait de tirer sur l'ennemi approchant. Avec l'urbanisation de la ville, les fossés du fort ont été remblayés et les ouvrages sont devenus 100% souterrains.

Les souterrains de Caluire appartiennent à la Ville, ils faisaient partie de la ligne de fortifications de Lyon, ont servi de champignonnière, de citernes, ainsi que d'abris anti-aérien. Les souterrains font plusieurs kilomètres, des successions de petites casemates dont une partie n'est encore pas praticable.

B.G : On fait visiter les souterrains du fort de Vaise régulièrement, plusieurs fois par mois. Un peu moins ceux de Caluire ces derniers temps car il y a des travaux en surface. On travaille à relancer des visites. Ces deux sites sont aussi visitables le 14 juillet et pour les Journées européennes du patrimoine.

On essaye aussi d'organiser régulièrement des conférences pour le grand-public et on répond aux demandes de personnes propriétaires d'entrées de souterrain qui souhaitent en dresser une amorce de plan. On a des membres spéléologues, mais on refuse tout ce qui n'est pas souterrain anthropique.

Lyon est-elle riche de souterrains anthropiques ?

S.M : Bien sûr ! On a beaucoup à faire avec tous les souterrains militaires de Lyon, qui sont présents autour de tous les forts, et les mines et carrières un peu plus loin. Notamment dans le Mâconnais, les Monts d'Or, et aux abords de Grenoble. La région est aussi très riche de souterrains plus spécifiques, de vieux ouvrages pour l'adduction d'eau, ou le drainage, par exemple dans les deux collines de Lyon. Et puis, il y a les fameuses Arêtes de poisson de Lyon, datées de l'époque romaine, et qui, on en a la quasi-certitude maintenant, servaient au stockage.

B.G : L'OCRA a voulu faire visiter les Arêtes de poisson mais c'est un vœu pieux. D'une part les études ne sont pas finies, d'autre part ces souterrains comptent beaucoup d'escaliers, d'échelles, nécessitant des travaux plutôt conséquents. On salue l'initiative de visite virtuelle payée par Ville, qui sera déjà une bonne façon de faire connaître ce patrimoine.

Il est aussi important de rappeler que Lyon n'est pas Paris, il n'y a pas de catacombes au sens propre. Il y en a d'ailleurs très peu en France, c'est essentiellement à Rome. À Lyon, les seuls ossements en souterrains sont dans des cryptes comme celle des Brotteaux. Qui sont d'ailleurs visitables en visite guidée, mais pas avec nous.

Stephane Moneger à gauche, Bastien Gregis à droite LS/PetitBulletin 

Quelles sont les motivations qui guident les bénévoles de l'OCRA ?

B.G : C'est difficile à dire, il y a des profils extrêmement variés. On arrive à fédérer des personnes très différentes, de tous les âges. Certains qui s'intéressent à des souterrains bien spécifiques, notamment les spécialistes des galeries militaires. On a le même type de profil orienté mines et carrières, d'autres veulent investir du temps à penser les chantiers de réaménagement. Certains sont là uniquement parce qu'ils se sont donnés pour objectif de préserver le patrimoine souterrain des dégradations.

Qu'est-ce qui dégrade les souterrains ?

Bastien Grégis : Il peut y avoir les éléments comme le passage de l'eau, la pollution, des travaux à la surface. Il y a aussi le passage des curieux, qu'on voit de plus en plus depuis qu'il y a eu tout cet engouement autour de l'urbex sur les réseaux sociaux, ou des cataphiles à Paris. On trouve de plus en plus de déchets dans les souterrains, ce qui n'est pas bon signe.

La plupart s'y rendent pour faire la fête, ce qui implique aussi des dangers. Parfois, il faut descendre des échelles de 10 mètres, l'air ne se renouvelle pas aussi vite qu'à l'air libre… Ce n'est vraiment pas la meilleure des idées, et ce n'est pas notre rôle de leur courir après.

Comment projetez-vous le développement de votre activité ?

B.G : On ne voit pas notre activité comme celle d'explorateurs. On souhaite surtout mieux développer les sites qui sont les nôtres, les rendre plus accessibles, plus connus et développer des événements autour.

Par exemple, on avait organisé des mini-concerts dans les souterrains du fort de Vaise à l'occasion des Journées européennes des métiers d'art, avec des instruments de musique acoustiques ; on aimerait bien aussi y accueillir des expositions. Le souci c'est que nous sommes limités en matière d'issues de secours, donc les visites se font forcément en petits groupes, qui oscillent entre 15 et 20 personnes, incluant le guide.

Autre souci, nous sommes tous bénévoles, nous n'avons donc pas toujours le temps d'avancer aussi vite que nous le souhaiterions.

Cela illustre la problématique du patrimoine souterrain qui n'est pas valorisé car il ne se voit pas. De la même façon, il y a encore plein de souterrains qui ne sont pas pleinement étudiés car des fonds ne sont pas débloqués. Pourtant ces derniers participent à l'histoire des villes.

 


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