La transposition en droit français de la directive CSRD

Avec la directive sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD), les entreprises vont devoir publier des informations de durabilité : cette contrainte peut-elle devenir une opportunité ?


L'ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 a transposé la directive CSRD (Corporate sustainability reporting directive) en droit français. Le décret d'application 2023-1394 du 30 décembre 2023 en précise l'application.

Les entreprises devront publier des informations de durabilité dans leur rapport de gestion en fonction de seuils fixés par le décret, en particulier pour les entreprises réunissant deux des trois critères suivants : plus de 250 salariés, 40 millions d'euros de chiffre d'affaires et 20 millions d'euros de total bilan.

Pour cette catégorie le premier reporting sera à réaliser en 2026 sur la base des données de l'exercice 2025, ce qui implique d'anticiper pour celles qui n'étaient soumises à aucune obligation auparavant. Elles pourront pour certaines s'appuyer sur leurs démarches RSE déjà existantes.

Comprendre la logique des normes ESRS

L'appropriation des normes de durabilité par des non-spécialistes est complexe au premier abord en raison des nombreux acronymes anglais utilisés (CSRD, ESRS, EFRAG…). Ils nécessitent à eux seuls un certain entraînement pour les reconnaître.

Pour bien comprendre les ESRS (pour European sustainability reporting standards), on ne peut que conseiller la lecture du règlement délégué (UE) 2023/2772 de la Commission du 31 juillet 2023, qui détaille les exigences et peut être consulté en français. Les normes proviennent des travaux de l'EFRAG (European financial reporting advisory group), groupe consultatif européen chargé d'émettre des avis sur l'information financière dont le rôle a été étendu à la durabilité.

Les douze normes ESRS s'appliquent à tous les secteurs d'activité. L'entreprise peut néanmoins ajouter des indicateurs spécifiques, si ces ESRS ne couvrent pas tous les enjeux matériels. Des indicateurs sectoriels compléteront à l'avenir les informations produites. La structure des normes est la suivante :

Les normes déterminent des « exigences de publication » et des « points de données » à fournir dans le rapport, ce qui correspond à des informations descriptives et à des indicateurs.

Si l'ESRS 1 explique les principales notions du reporting de durabilité avec des définitions, l'ESRS 2 précise les informations essentielles, et donc obligatoires, qui devront être publiées. L'entreprise devra notamment expliquer :

Cette partie n'est donc pas une suite d'indicateurs, mais une description du système. Les praticiens des normes ISO reconnaîtront des similitudes de démarche.

Pour les normes suivantes (environnementales, sociétales et de gouvernance), c'est à l'entreprise qu'il appartient de déterminer les informations pertinentes qu'elle devra publier en fonction du résultat de son analyse des enjeux de durabilité. Ces exigences sont soumises à un seuil de signification, à charge pour l'entreprise de justifier son appréciation.

Cette analyse de matérialité est double, ainsi les risques et opportunités doivent être appréciés sous deux angles connectés :

Dans l'exemple d'un groupe exploitant des résidences de tourisme en montagne, on comprend bien les aspects de la double matérialité : le groupe est affecté dans ses performances par le changement climatique, et il a aussi un impact sur celui-ci, par ses activités. Le niveau de matérialité n'est pas le même, et donc également les informations pertinentes pour ce thème ESRS E1.

De nouvelles missions pour les entreprises pourront utilement se faire assister de professionnels dans l'élaboration des rapports. On constate également l'émergence de plateformes numériques de collecte de données destinées à automatiser les rapports, ce qui semble peu conforme aux attentes de la directive.

Les informations publiées dans le rapport de gestion devront être certifiées par un tiers indépendant, l'auditeur de durabilité. Ce dernier pourra être un commissaire aux comptes formé à cette spécialité ou un OTI (organisme tiers indépendant accrédité par le Comité français d'accréditation - Cofrac). Les experts-comptables, avocats, sociétés de certification ou autres sociétés pourront ainsi demander leur accréditation. Le H2A (Haute autorité de l'audit) réalisera l'inscription et la surveillance des auditeurs.

Il s'agit donc bien d'un audit de certification qui sera réalisé selon des standards méthodologiques de méthode proches de l'audit des comptes. Les compétences attendues des auditeurs seront donc multiples, à la fois en audit, RSE et qualité.

Des opportunités d'améliorations pour les entreprises : Le travers pour les entreprises serait d'agir uniquement sous la contrainte du respect d'une obligation légale et d'oublier que le rapport de durabilité est aussi une opportunité pour s'interroger sur la conduite de ses affaires. L'un des objectifs de la directive CSRD est de permettre aux entreprises d'anticiper les risques et de permettre aux investisseurs de disposer d'informations pertinentes et fiables pour prendre leurs décisions. Ainsi, l'ambition de la directive est à terme de positionner les informations de durabilité au même niveau que les informations financières, ce qui explique le processus de certification.

On remarquera aussi que la directive ne prévoit pas des obligations d'actions mais uniquement d'informations. Il appartient à l'entreprise d'adapter sa stratégie et son modèle d'affaire aux enjeux ESG déterminés.

Les petites entreprises, bien que non-assujetties, peuvent adopter la même démarche en la simplifiant. Elles y seront d'ailleurs probablement amenées à le faire par les services de conformité de leurs donneurs d'ordres qui doivent examiner l'ensemble de la chaîne de valeur. À cet effet, l'Efrag réalise actuellement un travail sur les normes de reporting de développement durable pour les PME. L'objectif affiché est « d'aider les PME à obtenir un meilleur accès au financement et éviter toute discrimination à leur encontre de la part des acteurs des marchés financiers », ce qui amène à la réflexion…


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