Madame Hofmann

Au plus près de Sylvie Hofmann, une infirmière cadre dans les derniers moments de sa carrière, Sébastien Lifshitz livre un portrait authentique et bouleversant. Le récit intime et ample d'un héroïsme ordinaire mais aussi, par ricochets, celui d'une société française en plein bouleversement.


Sébastien Lifshitz ne cherche jamais à gommer la dureté d'un environnement, le service oncologie à l'hôpital nord de Marseille, qu'il infiltre en quête de vérité. Sa mise en scène précise et pudique, observe le quotidien professionnel et personnel de Sylvie Hofmann. Captée en action, la caméra vissée à son corps, ou en confession face au spectateur (et au réalisateur), elle se livre avec une verve et une spontanéité irrésistibles. Sa vocation, ses moments de respiration, ses expériences traumatiques, sont abordés avec la même franchise. Figure maternelle à plus d'un titre (sa fille, sa propre mère, mais aussi ses infirmières), elle tient à bout de bras un secteur sous haute tension.

Récit de vie et de mort

Malgré son sujet empreint de gravité, le documentaire se révèle étonnamment joyeux et lumineux, jusque dans la peinture d'un métier usant qui laisse des traces indélébiles sur ces hommes et ces femmes. Hantée par la maladie de ceux qui l'entourent (les cancers à répétition de sa mère) comme par sa propre dégradation physique et mentale, Sylvie Hofmann soulève des problématiques essentielles. Le sacré et le profane, le corporel et le spirituel, se mêlent et nous bouleversent d'un même élan. Le réalisateur capte avec justesse les discussions animées d'une galerie de personnages hauts en couleurs, questionnant en creux, par ces individualités, notre propre rapport à la mort, avec une douceur presque paradoxale.

Un monde en crise

À travers ce récit cinématographique, c'est tout un pan de l'Histoire récente que traverse l'infirmière. De l'enfer des couloirs d'hôpitaux durant le deuxième confinement, à la réélection d'Emmanuel Macron, en passant par la déclaration de guerre à l'Ukraine. L'air de rien, la protagoniste révèle les absurdités d'une politique qui met à mal sa profession et pousse le personnel hospitalier jusqu'au point de rupture. Les jeunes générations soucieuses de conditions de travail décentes, hésitent à quitter le secteur public, malgré leur amour du métier, pour rejoindre des cliniques privées. Un constat amer pour une femme qui a dédié sa vie à un système vertueux mais menacé. Sans jamais être didactique ou moralisateur, Sébastien Lifshitz refuse d'être un simple témoin. Il alerte en creux sur l'état d'un pays qui renonce sans l'assumer à ses valeurs d'égalité, où la santé pour tous pourrait bientôt n'être qu'une vague illusion.

Madame Hofmann
De Sébastien Lifshitz (Fr, 1h44) 
Sortie le 10 avril


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