Vis ma vie

Avec "L'Autre", l'humoriste Tahnee raconte sa vie de lesbienne métisse. Un spectacle drôle et, surtout, original (voire politique) par son sujet, à découvrir au Complexe.


Depuis quelques années, de plus en plus d'humoristes LGBT+ rencontrent le succès en parlant de leur vie, de leurs amours, de leur parcours, sans se cacher derrière un masque de neutralité ou des contorsions langagières soi-disant universelles : je suis comme je suis, prenez ou pas, riez ou pas, mais je ne changerai pas. Ces prochains mois à Lyon, on pourra par exemple voir Lou Trotignon et son excellent premier spectacle Mérou (en avril au Complexe), Jessé et son acide et touchant à la fois Message personnel (en juin à l'Espace Gerson) ou encore les bankables (puisqu'à l'immense Bourse du travail) Tristan Lopin (le 12 avril) et Paloma, la drag queen star et très théâtrale (en juin).

L'humoriste Tahnee appartient également à cette grande famille disparate, elle qui joue depuis cinq ans son spectacle L'Autre – un titre choisi parce qu'une humoriste en Allemagne, de surcroît lesbienne comme elle, porte le même prénom. Un seule-en-scène sur sa vie de lesbienne métisse tout entier résumé dans une phrase de la poétesse lesbienne états-unienne Audre Lorde que Tahnee cite en fin de représentation : « Ton silence ne te protégera pas. » Applaudissements nourris ; bravo les lesbiennes pour reprendre un slogan militant.

Vianney et Mufasa

Sur scène, l'« anchtillaise » déroule son histoire avec des blagues comme le ferait n'importe quel humoriste. Sauf qu'ici, l'expérience de vie qu'elle livre tranche avec celle de nombre de ses confrères et consœurs souvent en boucle sur les mêmes thèmes – le sexe, les relations hommes-femmes, les bobos, les iPhone… Ainsi, les passages où elle évoque le rapport des blancs à sa coupe afro sont hilarants, notamment lorsqu'elle s'amuse du fait que beaucoup de monde lui trouve une ressemblance avec la chanteuse Ayo (les cheveux, la couleur de peau) alors que personne n'a encore eu l'idée de dire à Valérie Pécresse qu'elle était la copie d'Angèle.

En une heure parfaitement rythmée, Tahnee, à l'image d'une Shirley Souagnon avant elle, installe son univers (d'où Vianney est visiblement exclu – running gag efficace) et, malgré ce que certains lui ont conseillé à ses débuts, déclame le mot « lesbienne » le plus de fois possible, elle qui a attendu ses 25 ans pour enfin s'épanouir. Dans un monde de l'humour de plus en plus inclusif sur les côtés mais toujours très hétérocentré en son cœur, ce spectacle placé sous le signe de l'afroféminisme et de l'intersectionnalité fait tout simplement un bien fou. Et qu'on ne vienne pas dire à Tahnee que l'on ne peut pas se reconnaître dans ce qu'elle porte si on n'est pas une lesbienne métisse : comme elle le fait remarquer, nous avons tous pleuré devant la mort de Mufasa alors qu'a priori, nous ne sommes pas des lions.

Tahnee
Au Complexe du mercredi 3 au samedi 6 avril


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