Glycines assassines

Les 38 kilomètres de voirie montchatoise se parent chaque printemps d'un nuage parfumé, assorti de somptueuses floraisons. Mais ne vous fiez pas à leur douce apparence, les glycines peuvent aussi être assassines.


Le Festival des glycines fête ses 5 ans cette année. Ce qui le rend si spécial ?
- Ses dates dictées par la nature et la météo : il commence et s'arrête en fonction de la floraison.
- Les artistes que l'on vient voir poussent dans les jardins des maisons du quartier.
- Il vit grâce à un noyau de passionné(e)s, l'association des Jardins de Montchat, qui fournit un travail colossal pour recenser toutes les glycines du quartier, mettre à jour les informations et éveiller nos sensibilités à ce patrimoine végétal inestimable.
- C'est gratuit ! 

Montchat, quartier cossu préservé des grands courants d'aménagement urbain, est connu pour ses 1000 jardins. Et d'après le président de l'association organisatrice du festival, ils abritent la plus forte densité de glycines au monde. Comment l'expliquer ? 

Welcome to Wisteria lane

Cela serait en partie dû à l'esprit de quartier : ici, il n'est pas rare que les glycines se transmettent de voisin en voisin, par marcottage. Cette tradition botanique et conviviale, qui consiste à étendre la tige d'une plante jusqu'à l'endroit où l'on veut qu'elle fasse de nouvelles racines, a survécu aux générations…  contrairement aux près de soixante-dix clubs de boule lyonnaise locaux, qui attestaient, il y a plusieurs décennies, d'une « sociabilité masculine de dingue ». Wisteria Lane, version sport-boules. 

À Montchat, il n'est pas rare que les glycines donnent uniquement sur la rue et non sur le jardin de leurs propriétaires, qui choisissent de les planter pour le plaisir des yeux et des narines des flâneuses et des flâneurs. Symbole de bienvenue ou culture de l'esbroufe ? On vous laissera méditer sur cette question au fil de votre visite.

À cela s'ajoute une histoire particulière : avant d'être le quartier que l'on connaît, Montchat était une gigantesque propriété, possédée par la famille Richard-Vitton. 

Jean Louis François Richard

En 1883, la famille prend une grande décision : celle de diviser 78 hectares du domaine en parcelles, pour les vendre 2 francs le mètre carré, avec interdiction de faire construire des usines. Chaque acquéreur disposera d'une maison et d'un jardin. Et la famille ? Elle garde le château, devenu aujourd'hui un espace de réception.

Un œil averti pourra repérer certains détails qui marquaient les limites de l'ancien domaine. Par exemple à l'angle de la rue de l'Église et de la route de Genas, ces deux immeubles anciens, qui se font face, en symétrie. D'ailleurs, avez-vous remarqué le chat qui, sur une des niches, donne la réplique à la madone ?

Les chemins entre les maisons sont cédés à la ville, à qui revient la charge de les transformer en voirie et de les entretenir : en guise de reconnaissance à monsieur Richard, qui fut d'ailleurs maire du 3ᵉ arrondissement de 1857 à 1870, certaines rues porteront les noms des membres de la famille. Les Richard-Vitton semblent être le genre de personne à qui vous rendez un service et que vous finissez quand même par remercier.

Ont subsisté, entre autres, la rue Antoinette (la belle-mère, glycines aux numéros 10, 30 et 40) ou la rue Julien (le troisième fils, glycines au 1bis, au 22, au 35, au 47 et 49). Attention, le cours Eugénie n'a rien à voir, puisqu'il rend hommage à la femme de Napoléon III  (pas mal de glycines quand même).  

Si vous avez suivi, vous comprenez que le cours Richard-Vitton ne porte aucun prénom mais deux noms de famille. Monsieur Richard, quant à lui, s'appelait… Jean-Louis François.

Méfiez-vous des glycines

L'heure est maintenant venue d'évoquer les vraies stars du quartier, les glycines. Leur nom sème lui aussi des quiproquos : « glycine » est leur nom d'usage, leur nom savant étant « wisteria ». « Glycine » est aussi un nom savant mais c'est celui… du soja. Il est des énigmes botaniques qu'il faut parfois accepter de ne pas résoudre.

La glycine n'est pas un arbre, ni une fleur, c'est une liane. Une liane volubile : elle s'accroche à tous les supports qu'elle rencontre, un peu comme ce voisin ou cette voisine dont vous cherchez à éviter les bavardages. Que se passe-t-il lorsqu'on la laisse s'enrouler autour d'un support pendant plusieurs années ? Elle le détruit par une lente strangulation. Vous avez donc raison de vouloir éviter un voisinage trop volubile, même si les Montchatois·es ne seraient pas forcément d'accord avec cette vision somme toute peu hardie des rapports de proximité. 

Lorsque vous serez en balade dans le quartier, passez dire bonjour à ces spécimens qui, sous leurs superbes abords, nous rappellent qu'une même pièce a toujours deux facettes : 

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