Bug

Un retour qu’on n’attendait plus : celui de William Friedkin avec un grand film sur la contagion paranoïaque dans un monde politiquement déboussolé. CC

Une séquence de Bug va faire se soulever le cœur nostalgique de tous ceux qui voient le cinéma américain des années 70 comme un eldorado créatif. L’hallucinant Michael Shannon, dans le rôle de Peter, persuadé que sous sa peau se nichent des insectes génétiquement programmés par le gouvernement américain pour l’anéantir, se jette en arrière sur le lit du motel où il s’est incrusté aux côtés d’une serveuse en mal d’amour depuis la disparition de son enfant. Ses convulsions, les stigmates sur son corps, ses cris de douleurs rappellent instantanément un autre chef-d’œuvre de William Friedkin : L’Exorciste. Comme Linda Blair, Shannon est “possédé” par un mal inconnu. Mais, et c’est là que Bug s’éloigne diamétralement de son prédécesseur, le cinéaste ne laisse que peu d’ambiguïtés sur la réalité de cette maladie : tout se passe dans la tête de ce paranoïaque dément dont les raisonnements ont beau être d’une logique à toute épreuve, ils ne reposent que sur un dérèglement intérieur, écho inquiétant de ceux du monde contemporain.Contagion du malFriedkin a trouvé dans la pièce de Tracy Letts une sorte de matériau parfait pour véhiculer ses obsessions. À tel point que son adaptation se fait souvent a minima (voir le sound design ou la fin de chaque acte, particulièrement théâtraux), même si on retrouve aussi sa capacité à poser sa caméra, la faire trembler ou la faire zoomer exactement quand et comme il faut. Passée la première demi-heure d’exposition où les deux personnages se domptent mutuellement jusqu’à une scène de sexe à la conclusion effrayante, Bug orchestre un dérèglement total de son huis clos : un microscope, une dent arrachée, du papier aluminium sur les murs, tout participe à traduire l’enfermement de ce couple qui auto-alimente ses scénarios démentiels sans jamais avoir besoin de regarder dehors. «Comment vous faites pour ne pas avoir de télé ?» demande le boyfriend redneck et congédié à Peter : le “dehors”, ici, c’est le monde vu par le tout petit bout de lucarne lumineuse. Peter en donnera sur la fin un digest historique flippant, condensé de toutes les théories du complot façon Thierry Meyssan. Friedkin laisse entendre alors une idée très forte : ces théories-là naissent dans des esprits solitaires, en manque de quelque chose (de drogue, d’alcool, d’amour, d’un enfant, des parents…). La contagion du mal est certes un sujet fondamental dans son œuvre, mais le cinéaste passe dans Bug du constat à l’analyse. C’est ce qui rend, en plus de son indéniable puissance dramatique, ce film impressionnant assez nouveau dans sa carrière, il est vrai plus ou moins en berne depuis le magistral Rampage en 1988. Avec Bug, wild Billy est de retour, et l’Amérique — où le film n’est toujours pas sorti ! - tremble dans ses chausses !Bugde William Friedkin (EU, 1h37) avec Michael Shannon, Ashley Judd, Harry Connick Jr…

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