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Paranoid Park

Gus Van Sant poursuit son exploration de la jeunesse américaine en livrant sa vision fragmentée d'un fait divers emportant un jeune skateur dans les arcanes de la culpabilité : un film mineur mais envoûtant. Christophe Chabert

Ça s'appelle un effet de signature : la caméra aérienne poursuit de dos un jeune garçon cheveux au vent fendant les hautes herbes pour se rendre sur une plage déserte. Les images d'Elephant, inoubliables, refont surface dans l'esprit du spectateur : ceci est bien un film de Gus Van Sant, ce que la suite va évidemment confirmer. Les couloirs de facs désolés remplis de bruits perdus dans un écho glacial, les ados paumés, les bribes de temps qui s'entrechoquent dans un soigneux désordre chronologique... Paranoid Park est un best of du Gus Van Sant dernière manière, même si le film possède aussi son ton et sa singularité.

Le skateboard n'est pas un crime

Alex Tremain, 16 piges, aime le skate sans vraiment oser en faire. Son fantasme s'appelle Paranoid Park : un terrain de skate construit par les marginaux de Portland, dont trois d'entre eux ont accosté par hasard Alex un soir. Ce même soir, un agent de sécurité a été tué, frappé avec une planche de skate avant d'être coupé en deux par un train. Gus Van Sant transforme l'horreur de cette anecdote en figure narrative : Paranoid Park est lui aussi un film coupé en deux, avec l'image traumatisante de l'agent de sécurité mutilé comme point de basculement. La première partie n'est faite que de fragments fulgurants et hétérogènes : images de skate en vidéo, plans muets d'Alex relatant les faits dans son carnet, travellings méticuleux saisissant l'espace dans lequel l'ado évolue, retour sur terre lors des deux interrogatoires entremêlés avec le flic Richard Lu... Van Sant va loin dans les atmosphères planantes et la recherche d'un temps suspendu, comme dans cette magnifique séquence où le ralenti freine la course d'Alex pour ne pas arriver en retard. Trop loin peut-être : il ne retrouve ni la grâce de Gerry, ni la force du sujet d'Elephant, et le film est guetté par une tentation formaliste déjà présente dans Last Days. La deuxième partie remet les choses en place : Alex se remémore les événements, comblant les vides de la narration en lui rendant un semblant d'ordre. Paranoid Park conserve néanmoins son côté accidenté, troué de partout, privilégiant la fulgurance poétique au récit linéaire. Il laisse aussi, sur le tard, ses personnages secondaires exister à l'écran : notamment la petite amie d'Alex, Jennifer, dont on n'est pas près d'oublier les billes bleues entourées de charbon et les moues expressionnistes quand son copain lui annonce qu'il la quitte. Le film se boucle sur une belle idée : en retraçant son geste sans aucun commentaire moral ni notation psychologique, Alex accouche d'une éphémère œuvre littéraire, premier signe de son désir de s'ouvrir aux autres. Un «long chemin» que ce film mineur aura orchestré avec un sens assez paradoxal du surplace !

Paranoid Park
De Gus Van Sant (Fr-ÉU, 1h25) avec Gabriel Nevins, Taylor Momsen...

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