Mise(s) en scène(s)

Film / On peut considérer Les Larmes amères de Petra Von Kant, tourné en 1971, comme le film qui mit définitivement la carrière du cinéaste Fassbinder sur orbite. Même s'il avait déjà presque une dizaine de longs-métrages à son actif, il est évident que c'est avec celui-ci que les grandes lignes esthétiques et thématiques de son cinéma se sont imposées. Dans l'appartement de la styliste Petra Von Kant se joue un certain nombre de rapports de servitude, sociale, affective et psychologique ; mutisme de la servante Marlene, fascination de la jeune mannequin Karin, pitié de l'amie intime Sidonie... Petra Von Kant tient tout le monde sous sa coupe par le mirage de l'amour (qui est toujours chez Fassbinder, «plus froid que la mort»), capable d'endosser les habits du bourreau, de la victime ou de la maîtresse. Jamais Fassbinder ne cherche à gommer l'origine théâtrale de son matériau : le décor, notamment l'immense toile de Nicolas Poussin qui surplombe le lit de Petra ou les mannequins en plastique qui traînent dans la chambre, est clairement une scénographie ; les déplacements lents et affectés des actrices sont loin du naturel sur grand écran ; même le son, sans perspective, semble reproduire le point de vue du spectateur dans la salle. La manière dont Marlene se situe à l'intérieur de l'action, pure présence signifiante, est aussi fortement marquée par les conventions du théâtre. Le défi de Fassbinder est d'inventer une deuxième mise en scène, cinématographique cette fois, pour intensifier les enjeux de sa pièce : chaque raccord, chaque changement d'axe, chaque mouvement de caméra vient ajouter sens et ambiguïté aux situations. Ce découpage ultra-visible devient à son tour une forme de distanciation (on voit même à plus d'une reprise l'ombre de la caméra...). C'est ce qui fait la singularité des Larmes amères de Petra Von Kant : Fassbinder y démontre que le théâtre filmé est loin de déboucher sur une paresseuse «captation» ; il s'avère un délicat équilibre à trouver entre deux arts qui ne se rencontrent jamais, mais peuvent se compléter avec intelligence.CC

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