La Zona

Une nouvelle révélation venue du Mexique : pour son premier film, Rodrigo Pla démontre une réelle maîtrise visuelle servant un propos dérangeant et nécessaire sur le repli sécuritaire et la mort de la démocratie. Christophe Chabert

La Zone : en général, quand on applique ce terme à la géographie urbaine, c’est pour désigner les banlieues pauvres et ghettoïsées des métropoles. Dans le premier film de Rodrigo Pla, La Zone est, à l’inverse, une résidence pavillonnaire d’une propreté immaculée et d’une quiétude absolue. Un paradis solaire pour costards-cravates friqués, séparé de «l’enfer» urbain par des murs et des caméras de surveillance, ce que nous révèle un spectaculaire plan à la grue découvrant le centre ville de Mexico plongé dans une grisaille lugubre.
Mais les maisons ripolinées et les allées impeccables ne sont qu’un trompe-l’œil : cet espace de bien-être artificiel est surtout une zone de non-droit, au crépuscule d’une démocratie mourante, sinon déjà crevée.Plus de sécurité, moins de libertés
Il aura suffi qu’un soir, à la faveur d’un accident ô combien symbolique (un panneau publicitaire qui s’effondre !), une poignée d’ados désœuvrés, imbibés et désargentés pénètre dans cette propriété privée pour que le drame s’enclenche et ne lézarde une surface trop parfaite.
Les habitants se réunissent pour livrer à la police leur version des faits, et faire des intrus clamsés les seuls responsables de l’incident.
Mais, pas de chance, l’un d’entre eux a survécu et se cache avec la vérité quelque part dans la zone. Élément étranger à éliminer coûte que coûte, il est le ver révélant que le fruit était pourri depuis longtemps, bouc émissaire tout trouvé d’une société corrompue, violente et autarcique où de gentils pères de famille deviennent des monstres de haine capables de tout pour défendre leur territoire.
Quelque part entre J.G. Ballard et Fritz Lang, Rodrigo Pla orchestre avec une précision glaçante ce retour du refoulé : cadrages au cordeau, lumières froides, comédiens investis physiquement dans l’ambivalence de leurs personnages…
Il réussit certes un peu moins bien les scènes d’action de son film, encore brouillonnes, mais sait en revanche ajouter une dimension humaniste à son très sombre récit.
Car le narrateur du film est un adolescent qui va d’abord s’affranchir de ses camarades élevés dans une violence latente prête à surgir au moindre tremblement, puis quitter le clan familial et cet environnement rassurant mais factice pour affronter en homme libre le monde et sa cruauté.
Comme chez un autre cinéaste mexicain bien-aimé, Guillermo del Toro, la sortie de l’enfance est toujours un arrachement brutal à ce qui est censé le maintenir en sécurité mais qui, en réalité, ne fait que masquer l’horreur omniprésente autour de lui.
N’attendez pas que Rodrigo Pla, comme Del Toro, Iñarritu ou Cuarón, n’aille poursuivre cette réflexion à Hollywood ou à Madrid pour découvrir son très prometteur premier film.La Zona. de Rodrigo Pla (Mexique, 1h38) avec Daniel Gimenez Cacho, Maribel Verdu…

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