«Le monstre, c'est la caméra»

Entretien / Paco Plaza et Jaume Balaguero, réalisateurs de Rec. Propos recueillis par CC

Petit Bulletin : D'où est venue l'idée de Rec ?
Paco Plaza :
Ce que nous voulions au départ, c'est faire une classique histoire d'horreur, mais avec un nouveau langage. Le fait de tourner en HD, avec les moyens utilisés par la télévision, avait du sens. Imiter le langage de la télé-réalité ne nous permettait pas de tourner de manière traditionnelle, mais de façon organique.
Jaume Balaguero :
C'est le film avec le plus petit budget de ma carrière, pareil pour Paco. On l'a tourné en vingt jours dans le même immeuble, sauf les deux premiers dans la caserne et dans la rue. L'idée, c'était de faire ressentir l'action au spectateur, le mettre au centre du film. Que Rec soit une vraie expérience pour lui.

Dans le film, il y a à la fois la télé-réalité, les jeux vidéos, mais aussi des éléments venus du cinéma classique, un mélange d'archaïque et de contemporain...
JB : Rec est un pur film d'horreur, mais avec les moyens modernes de la télé et de la vidéo. Nous ne voulions pas faire un film dans le genre du Projet blair witch, nous voulions vraiment raconter une histoire.
PP :
Il fallait faire ressentir la terreur des situations, mais nous avons toujours envisagé la dernière partie comme une évasion vers le film de science-fiction. On part d'un postulat documentaire, mais on finit comme un film de SF.

On entend à la fin le bruit du moteur de la caméra, et l'utilisation de l'infra-rouge rappelle les images de Murnau dans Nosferatu... C'est un clin-d'oeil ?
PP : À l'expressionnisme ? Oui...
JB : Le travail sur le son dans le film a été très important. Pour la première partie, on a cherché tous les sons qui renforçaient cette impression de vérité. C'est pour cela qu'on a utilisé ce bruit sourd quand les personnages cognent dans la caméra, cela donne un sentiment de réalisme, même s'il est rajouté après-coup. Par contre, pour la fin du film, nous avons progressivement supprimé ce genre de détails, pour n'utiliser que des bruits réels et renforcer le côté oppressant de la situation. Et cela va jusqu'au silence. Mais pour un spectateur, le son qui se rapproche le plus du silence dans un film, ce n'est pas le silence complet, c'est juste le bruit de la caméra qui tourne.

Comment avez-vous choisi les acteurs du film ?
JB :
La fille qui joue la journaliste est une vraie présentatrice télé. Elle travaille pour une nouvelle chaîne locale, elle n'est pas très connue, mais certains spectateurs pouvaient avoir l'impression de l'avoir déjà vue, donc de croire au personnage. Les pompiers du film sont de vrais pompiers aussi. Et le caméraman est en fait notre chef-opérateur. C'était un challenge pour lui : il était un personnage à part entière du film, il devait non seulement faire son job habituel en cadrant et en éclairant, mais aussi recréer les réactions de son personnage dans les situations. Pour cela, nous avons mis au point une technique : les comédiens ne connaissaient pas le scénario en entier, ils ne savaient que ce qu'il fallait savoir sur leur rôle. Il y avait des choses qu'on ne leur disait pas sur ce qui allait arriver, parfois même on leur racontait ce qui allait se passer et finalement, c'était autre chose qui se produisait. L'important était de maintenir une tension permanente au sein de l'équipe, une tension proche de celle qu'ils auraient pu ressentir s'ils avaient vraiment été confrontés à cette situation. On a tourné chronologiquement, en se réservant le droit de changer des choses d'une semaine sur l'autre. Chaque week-end, Paco et moi nous installions devant un écran pour regarder ce qu'on avait tourné, et nous nous posions cette question : et maintenant, qu'est-ce que nous avons envie de voir ?

Le film étant tourné en longs plans-séquences, où étiez-vous pendant les prises ? Vous étiez comme des coachs ?
JB : Nous étions devant le combi. En fait, nous étions rarement tous les deux sur le plateau, je terminais le montage d'un film, et Paco finissait un mixage. Donc nous nous relayions pendant le tournage. Mais quand on nous demande qui a amené quoi au film, nous répondons que Rec, ce n'est pas 50% Paco et 50% moi, c'est 100% chacun !

Vous êtes revenus à une mise en scène artisanale de l'horreur, sans effet numérique, où tout se passe sur le plateau...
JB : Utiliser des effets spéciaux était extrêmement compliqué, justement à cause des plans séquences. Le premier plan dans l'immeuble, il y avait un effet de maquillage qui arrivait au bout de dix minutes ; s'il était raté, toute la prise était ratée. Il fallait donc être extrêmement précis. Il y a une anecdote concernant la dernière scène. Nous l'avons réellement tourné dans le noir, avec juste le chef-op' qui voyait à travers la caméra avec l'infra-rouge, l'actrice et le monstre. L'actrice ne savait pas ce qui se passait, et le chef-op' a découvert la créature avec le viseur de sa caméra, il se demandait d'ailleurs vraiment ce que c'était ! En fait, il y avait une quatrième personne dans la pièce, dont le but était de faire un maximum de bruits inquiétants pour les terroriser, et aussi de diffuser des odeurs nauséabondes, agressives, renforçant là encore le malaise. On assume parfaitement ce côté film de foire, c'est même une des raisons qui nous ont poussé à le tourner.

Le film cherche-t-il à donner un avis sur les nouveaux médias, comme internet ou la télévision ?
JB :
Dans le film, il y a un monstre, c'est la caméra. D'ailleurs, à la fin, la caméra est la seule survivante !
PP : Les médias d'aujourd'hui orientent profondément la pensée des gens, mais ne fonctionnent que par modes. D'abord, c'était le terrorisme, ensuite, c'était la pédophilie, bientôt, ce sera autre chose. Mais cela ne rend pas compte de la réalité de l'actualité.
JB : Pourtant, les gens recherchent de plus en plus une relation directe avec les images, non médiatisée. Ils deviennent eux-mêmes réalisateurs, ils filment les événements. Le rapport aux images a totalement basculé ces dernières années...

La description des habitants de l'immeuble peut-elle être vue comme une vision documentaire du Barcelone d'aujourd'hui ?
PP : Tout à fait. Les gens que l'on montre ressemblent à nos voisins, nous vivons aussi entourés de gens venant de pays étrangers, des Chinois, des Colombiens... Il y a aussi ce mélange d'âge, des familles bourgeoises, des quinquagénaires qui vivent encore avec leur mère. Rec est aussi un portrait de la vie à Barcelone. L'immeuble dans lequel on a tourné est typique de l'architecture barcelonaise, avec son escalier en colimaçon et sa grande verrière...

On parle beaucoup du nouveau cinéma fantastique espagnol. Vous sentez-vous appartenir à cette nouvelle vague ?
JB : Il n'y a qu'à l'étranger que l'on nous en parle. En Espagne, tout le monde s'en fout.
PP : Ce qui a changé, c'est le succès au box-office de L'Orphelinat et de Rec. Sachant que L'Orphelinat était vraiment un film fédérateur, majoritaire, qui a touché tous les spectateurs, jeunes et vieux, amateurs de cinéma de genre ou pas. C'est devenu LE grand film espagnol. Rec a fait trois fois moins, il a atteint une limite, il n'a pas vraiment été vu au-delà des amateurs de ce type de cinéma, même s'il y a quand même eu un petit effet lié au succès.
JB : Cette question du cinéma de genre espagnol n'a pas beaucoup de sens. Il y a évidemment des points communs entre Juan Antonio Bayona, Nacho Cerda, Alex de la Iglesia, Paco et moi. Mais je me sens tout aussi proche de Xavier Gens en France ou Neil Marshall en Angleterre, j'ai l'impression qu'on a des démarches similaires, que notre enjeu commun c'est renouveler le cinéma de genre.
PP : Quand je suis allé voir Darkness en salles, il y avait pleins de gamins derrière moi. Quand le générique a démarré et qu'ils ont vu le nom du chef opérateur et du réalisateur, ils ont crié : «Ah, non, c'est un film espagnol !» Finalement, ils ont aimé le film, mais cela en dit long sur le préjugé des Espagnols envers leur cinéma de genre...

Avez-vous eu des propositions de Hollywood pour tourner des films là-bas ?
JB : Oui, plusieurs, que j'ai toujours refusées. Mon envie, ce n'est pas de tourner un film à Hollywood, c'est d'avoir un sujet de film, et de pouvoir le développer là-bas.

Vous sentez-vous proches d'un Guillermo del Toro, qui alterne films américains et films espagnols ?
JB : Absolument. J'espère un jour avoir cette liberté. Avec Darkness, j'ai même eu encore plus de chance : j'ai tourné le film chez moi, en Espagne, mais il est sorti aux États-Unis et il a eu un grand succès. J'ai fait mon film hollywoodien sans jamais y mettre les pieds !

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