«Un regard distancié sur l'Algérie»

Lyes Salem, comédien et cinéaste, auteur d’un premier long-métrage attachant, Mascarades. Propos recueillis par Christophe Chabert

Petit Bulletin : Êtes-vous né en France ?
Lyes Salem : Je suis arrivé en France en juin 1988, j’avais 16 ans.Avez-vous passé votre enfance en Algérie, dans un village qui ressemble à celui de Mascarades ?
Pas du tout. Je suis né et j’ai grandi à Alger.Comment vous est venue l’idée d’y inscrire l’action de votre premier long ?
Je voulais un microcosme pour que la parabole fonctionne. Que ce petit endroit soit le mètre étalon d’un endroit plus grand…Il y a aussi la volonté de très peu dater l’action, à part les affiches de films…
J’ai aussi choisi d’enlever tout ce qui rappelle l’Algérie, notamment les drapeaux. Je ne voulais pas d’accroches concrètes avec la réalité, que l’on voit quelque chose de vraisemblable et pas forcément de réaliste.Vos deux premiers courts-métrages étaient très différents : Jean Farès était un film à concept, Cousines était plus narratif. Comment êtes-vous passé de l’un à l’autre ?
Le premier était basé sur un texte que j’avais écrit quand j’étais au Conservatoire et que je jouais au théâtre. J’avais eu une caméra dans les mains, j’avais des entrées à Canal +, j’avais fait des images, quelque chose d’assez conceptuel, et on m’avait payé deux trois jours en salle de montage. J’avais compris comment on racontait un film avec des images. J’ai donc eu très envie de réaliser quelque chose et j’ai adapté ce texte en court-métrage. Tout ça m’avait bien plus, donc j’ai réécrit quelque chose de plus développé. Cousines relevait plus d’une écriture cinématographique alors que Jean-Farès était de l’ordre du monologue.La grammaire du cinéma, vous l’avez donc apprise sur le tas ?
Sur le tas, d’une certaine manière. En tant qu’acteur, je n’allais jamais dans les loges, je restais sur le plateau, je regardais tout le monde, le metteur en scène, le régisseur, le machiniste… J’étudiais la fonction et l’utilité de chacun ! Je m’étais programmé pour être comédien et je me suis découvert ensuite cette envie de faire mes propres réalisations. Je ne vais pas dire que c’est arrivé par hasard, mais il y a dix ans, si on m’avait dit que je réaliserais des films…Était-ce une évidence pour vous de tourner ce premier film en Algérie ?
C’était important que je commence là-bas. Un premier long-métrage, c’est un film par lequel on va se présenter, et même si je revendique complètement ma double culture, j’avais le besoin de commencer par l’expression de cette «algérianité» très présente chez moi.Comment avez-vous constitué le casting ?
En Algérie, ce n’est pas du tout comme en France, il n’y a pas de directeurs de casting. Mais c’est presque mieux, car ça permet de faire du casting «sauvage» : je passais des annonces dans la presse annonçant un casting à telle heure à la Cinémathèque d’Alger, et se présente qui veut. Ça me permettait de rencontrer un panel très large de personnes qui n’avaient pour la plupart jamais fait ça. Je me souviens d’un type qui est arrivé avec son bleu de travail et qui m’a dit : «Si on pouvait faire vite, j’ai dû fermer le garage…» Tous les petits rôles sont tenus par des gens du village où on a tourné, je voulais les intégrer pour qu’il y ait une sorte de partage intellectuel et économique… La séquence d’ouverture, je l’ai vraiment imaginée parce que je suis tombé sur eux…C’est un plan séquence qui décrit un cercle parfait, comme pour encadrer l’action et poser l’enjeu qui consiste, pour les personnages, à sortir de ce cercle.
C’est l’un des décors principaux, présentons-le ! Ça introduit les voitures qui vont tourner en rond, et les gens du village, qui tournent un peu en rond aussi… Il y a aussi, il faut l’avouer… (hésitation)… le plaisir de fabriquer un plan-séquence ?
Voilà ! C’est compliqué, donc exaltant. Je viens du théâtre et le plan-séquence transforme le décor en scène de théâtre, il faut que tout le monde entre et sorte au bon moment.Le début du film est étonnant, il faut un bon quart d’heure pour savoir que l’on est dans une comédie. Avant on croit être dans une sorte de western contemporain…
Tant mieux ! C’est une volonté de ma part. Ça ne me dérangeait pas de tromper le spectateur, de lui faire croire qu’il allait encore assister à une chronique sociale qui allait forcément mal finir. J’ai un regard distancié sur l’Algérie, mais aussi un regard distancié sur la manière dont la France voit l’Algérie.Aviez-vous écrit le rôle principal pour vous ?
Oui, c’était évident dès le départ que j’allais le jouer. Et puis au moment du casting, je me suis laissé la possibilité de distribuer le rôle. J’ai vu des gens assez intéressants, mais je crois que j’avais une véritable envie de jouer. Je suis comédien, j’écris pour ma pomme !

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