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Gran Torino

Avec "Gran Torino", Clint Eastwood, devant et derrière la caméra, réalise un de ses meilleurs films, drôle et provocateur, émouvant et mélancolique. Christophe Chabert

Walt Kowalski vient d’enterrer sa femme et s’apprête à retourner à une fin de vie routinière. Ancien de la guerre de Corée, le voilà entouré de ses «ennemis» d’hier dans un ghetto dont il ne veut pas bouger, peinard avec ses bières, sa chienne et la Gran Torino 72 qu’il a contribué à assembler lorsqu’il était ouvrier chez Ford. Kowalski est un bout d’Amérique échoué, qui marine dans son aigreur, ses préjugés raciaux et sa haine des générations suivantes en poussant des grognements de clebs à qui l’on tenterait de voler son os. Kowalski, c’est Clint Eastwood, de retour devant la caméra quatre ans après Million dollar baby, qu’il avait pourtant présenté comme son dernier rôle. Mais l’occasion était trop belle de remettre la défroque du comédien… Ce personnage est taillé sur mesure pour l’acteur devenu un mythe nourri de fulgurances et d’ambiguïtés. Kowalski synthétise sans tapage tout cela : les justiciers aux méthodes contestables, les éducateurs guerriers cherchant à transmettre leurs valeurs, les ratés vieillissants et torturés. Avec un seul objectif : être en paix avec lui-même au jugement dernier.

John Wayne de proximité

Depuis l’excellent Space Cowboys, on avait oublié une chose à propos du cinéma de Eastwood : il ne lésine pas sur l’humour, noir si possible. Gran Torino, dans sa première heure, est une vraie comédie vacharde, où le patriarche raide comme un i vomit des torretns d’insultes sur ses voisins asiatiques, ses enfants et petits-enfants trop bêtes à son goût, et même un jeune prêtre qu’il rudoie avec un plaisir pervers. Les répliques hilarantes lancées par le héros font mouche, et bazardent la rhétorique politiquement correcte au feu. Théorie de la pratique lors des séquences chez le coiffeur, où le fait de se traiter de «pollack» ou de «rital» est une vraie marque de respect ! Intransigeant mais surtout individualiste, Kowalski se retrouve embringué dans une guerre des gangs miniatures parce que Tao, le fils des voisins, a cherché à lui faucher sans succès sa voiture, échec qui a provoqué une vengeance de ses acolytes. Celle-ci s’est déroulée, injure suprême, sur sa pelouse. Mâchoire crispée et fusil en pogne, le vétéran se mue en John Wayne de proximité, au nom de sa propriété sacrée. L’empathie envers Tao et sa sœur Sue n’arrivera qu’en cours de route, car ce qui intéresse surtout Kowalski dans un premier temps, c’est qu’on lui foute la paix !

La juste distance

Gran Torino est donc une histoire de distances à combler. Distance entre Kowalski et ses voisins, entre les valeurs surannées du héros et celles de la Corée, entre l’Amérique d’hier et celle de maintenant. Plus génialement, le film s’emploie à gommer la distance initiale entre Eastwood acteur et Eastwood cinéaste : après avoir enregistré la volée de «niakoués» et de «citrons» balancés par Kowalski entre deux jus de chique, la caméra se promène seule au milieu d’une cérémonie de baptême au sein de la famille coréenne. Il n’y a là aucune ironie, mais plutôt une curiosité fascinée dans le regard du cinéaste, qui n’a pas tourné pour rien Lettres d’Iwo Jima. Avec la force tranquille qui guide à la fois le personnage et le réalisateur, Gran Torino s’avance vers une réconciliation de ces deux points de vue. Le fossé se résorbera lorsque le vieillard ronchon se rendra compte que Tao, lors d’une fête de djeun’s au sous-sol de sa maison, est aussi mal à l’aise que lui face aux conventions sociales. Un point commun trouvé, l’amitié peut se développer sous forme de donnant-donnant : un job et un code de vie pour Tao ; un exorcisme du drame qui le hante pour Kowalski. Qui ressemble alors au William Munny d’Impitoyable, ressassant ses crimes sous le coup de la fièvre et de l’alcool, ne trouvant le repos qu’en faisant couler une dernière fois le sang. On ne dira pas comment Eastwood «délivre» ici son héros de ses démons, mais c’est probablement l’idée la plus humaniste qui circule dans ce grand film simple et jouissif. Où l’on peut à la fois rire lorsque Kowalski rembarre trois noirs qui ont le malheur d’avoir molesté la jolie voisine dans la rue (mais c’était surtout pour leur donner une leçon de drague !) et pleurer à le voir essayer le premier et dernier costard de sa vie. Une image qui, loin d’être crépusculaire, le fige plutôt dans une admirable éternité.

Gran Torino
De et avec Clint Eastwood (ÉU, 1h56) avec Bee Vang, Ahney Her…

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