Blog : Suleiman chaud et l'arche de Noé

Samedi 23 Mai

La compétition touche à sa fin et c’est l’heure des pronostics, avant celui des bilans. Niveau palmarès donc, trois films semblent aujourd’hui en mesure de décrocher la Palme : Un prophète de Jacques Audiard, Le Ruban blanc de Michael Haneke et, en cas de surprise raccord avec les deux palmes précédentes, Fish tank d’Andrea Arnold. On pourrait même en ajouter un quatrième, mais on va y revenir dans quelques lignes. Pour la mise en scène, il n’y a que l’embarras du choix, mais récompenser Alain Resnais serait une assez jolie idée. Si Les Herbes folles, film anguille qui glisse délicieusement entre les neurones, n’est pas exactement parfait, les inventions juvéniles de Resnais à la caméra et au montage méritent d’être soulignées. Pour ce qui est du prix d’interprétation masculine, Tahar Rahiq et Niels Arestrup dans le Audiard semblent très bien placés, mais on persiste et on signe concernant la prestation mémorable de Christoph Waltz en officier SS dans Inglourious basterds. Et si Giovanna Mezzogiorno dans Vincere de Bellocchio obtenait le prix d’interprétation féminine, on ne crierait pas au scandale (mais il y a de la concurrence du côté du Park Chan Wook et d’Andrea Arnold). Voilà, les jeux sont faits, rien ne va plus jusqu’à dimanche. Vendredi, c’était le moment de découvrir le fameux Enter the void de Gaspar Noé, lors d’une projection unique où le film, manifestement inachevé, affrontait les regards des festivaliers de tout ordre, dont la presse française, jamais très tendre avec le cinéaste. Elle ne le fut pas plus cette fois, riant grassement à une réplique maladroite ou s’esclaffant lors d’un coït intra-utérin en images de synthèse (pas la meilleure idée du film, faut le dire !). Depuis Irréversible, on sait que Noé est un filmeur prodigieux, malaxant espaces et durées avec un talent d’alchimiste. On sait aussi qu’il n’est pas un penseur («Le temps détruit tout» et autres pataquès métaphysiques d’ado attardé). Enter the void répète puissance mille ce décalage grandissant : il n’y a pas grand chose à raconter sur l’écran, mais beaucoup à vivre, le film étant une expérience visuelle souvent stupéfiante (sans mauvais jeu de mot), quoiqu’un peu mégalo étirée sur deux heures quarante cinq. On peut aussi voir le film comme celui d’un enfant qui s’amuse avec ses jouets (la ville vue d’en haut, dans laquelle vivent et meurent quelques pantins humains). C’est justement le sujet d’Enter the void : comment retourner vers l’enfance, préserver l’innocence par-delà la violence du monde, créer de la vie et de la joie dans une urbanité mortifère et nocturne. De fait, le film est presque positif (pour du Noé, s’entend), et ce n’est pas la moindre de ses surprises. Cela étant, il manque un élément crucial : un peu de texte, des acteurs, une ou deux séquences qui ne sont pas uniquement des expériences visuelles. Mais ce film monstre n’est pas négligeable, loin de là ! Le vrai grand moment ce jour sur la Croisette, c’était la présentation de The Time that remains d’Elia Suleiman. En apparence, le cinéaste palestinien poursuit le travail entrepris avec Intervention divine il y a sept ans. Mais ce nouveau film lui est supérieur à tous niveaux : en racontant l’histoire de sa famille à Nazareth (et, par extension, celle de cette colonie israélienne en Jordanie) par une série de vignettes tragi-comiques, Suleiman apparaît comme un grand cinéaste de la maîtrise pince-sans-rire, de l’émotion ténue et du discours politique mélancolique. Chaque plan est une trouvaille enthousiasmante, merveilleusement mise en scène certes, mais surtout arrachée à un désespoir évident pour être transformée en déflagration comique ou poétique. Suleiman invente par exemple un moyen formidable de «dépasser» le mur qui sépare Israël et Ramalah, moment d’anthologie applaudi chaleureusement à la projection. Sans parler de cette scène géniale où juifs et arabes trouvent une solution joliment absurde pour danser sur de la techno ensemble en plein couvre-feu. The Time that remains était un des meilleurs films d’une compétition qui s’avère d’un très bon niveau cette année.

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Lundi 25 mai 2009 Le jury du festival 2009 a décerné sa Palme d’or au Ruban blanc de Michael Haneke, un des films les plus forts d’une sélection de très haut niveau. Le reste du palmarès, à quelques bizarreries et absents près, est du même tonneau. Christophe Chabert
Lundi 18 mai 2009 Festival / Après cinq jours de compétition de fort bonne facture, une tendance se dégage : le festival de Cannes a laissé de côté les films pour festivals et a fait une place de choix au cinéma du plaisir intelligent. Avec Un prophète de Jacques...

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X