Toto aux enfers

Interdit dans son pays, jamais sorti en France, Toto qui vécut deux fois, monstrueuse parade cinématographique sur un messie des temps modernes dans une Sicile mâle et effrayante, arrive onze ans après sa réalisation sur les écrans français. CC

Blasphématoire, Toto qui vécut deux fois ? C’est en tout cas ce que la censure italienne a décrété en 1998, quand ce premier film de deux cinéastes venus de la télévision (Daniele Cipri et Franco Maresco) a cherché à sortir en salles. Du coup, interdiction totale, puis interdiction aux moins de 18 ans et finalement blocus des Catholiques à l’entrée des cinémas. À côté, les mésaventures de La Dernière Tentation du Christ paraissent bien bénignes. Or, comme souvent, la religion se couvre de ridicule en se trompant d’ennemis. S’il y a bien dans le film un messie nommé Toto qui accomplit des miracles dans une Sicile qu’on croirait sortie d’une toile de Jérôme Bosch, s’il est entouré par des obsédés sexuels se frottant le bas-ventre la bave aux lèvres et des prostitués barbus, si on voit même des pénis en érection à l’écran, le film est cependant l’inverse d’une attaque contre l’Église. Et les spectateurs à l’esprit ouvert trouveront tout cela très (trop ?) moral.

Y a-t-il un messie pour sauver la Sicile ?

Le modèle évident de Cipri et Maresco est L’Évangile selon Saint-Mathieu, autre film italien qui offrait une relecture très libre du Nouveau Testament. De Pasolini, ils reprennent le noir et blanc, le choix d’un traitement réaliste des «miracles» et même la fameuse Passion de Bach. Composé de trois histoires qui se croisent épisodiquement (avec un twist final étonnant), Toto qui vécut deux fois s’inscrit dans un monde décadent, où la misère sociale a accouché d’un désastre humain, les êtres étant rendus à leurs instincts primaires (bouffer, baiser, déféquer), incapables de saisir la main qui leur offre le salut. Des mafieux passent au milieu de tout cela, et on comprend que derrière leur élégance pincée se cache une des causes de cette régression infernale. Les tableaux horriblement beaux inventés par les cinéastes témoignent de cette fin de partie grotesque et tragique. Un bon exemple est celui de la dernière cène, où le messie est parti pisser et où ses apôtres commencent à se bâfrer en racontant des blagues abjectes. «Bande de cons», leur lâche-t-il à son retour. Dissipant ainsi toute ambiguïté, les deux cinéastes ne tirent aucun plaisir à ce carnaval hideux, se pinçant le nez devant la gangrène désespérée qui ronge le Sud de l’Italie. Le messie n’aura d’ailleurs même pas le loisir de finir sur la croix comme son illustre prédécesseur ; il sera misérablement dissout dans une cuve d’acide, pendant qu’un marginal tue un ange, lui vole ses ailes et finit par se faire violer. Ainsi soit-il… 

Toto qui vécut deux fois
De Danièle Cipri et Franco Maresco (1998, Italie, 1h35).

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