Sa vie en rose

Marion Cotillard, actrice, trouve dans Public enemies son premier grand rôle américain, ou comment une comédienne consacrée par un mythe français se mue, promo comprise, en star internationale. Christophe Chabert

Pour les journalistes un peu lents à la détente, la tournée de Marion Cotillard pour présenter Public enemies se charge de rappeler que celle-ci a sérieusement changé de statut ces dernières années. Cotillard est désormais entourée d’une nuée d’attachés de presse et de men in black appliquant des consignes strictes (pas de photos, pas plus d’une demi-heure de conférence de presse) ; un protocole digne d’une star hollywoodienne. Ce qu’en définitive elle est en passe de devenir ! Depuis l’Oscar obtenu pour La Môme, Cotillard a rejoint le cercle fermé des actrices étrangères faisant carrière aux États-Unis, comme Penelope Cruz l’Espagnole et Franka Potente l’Allemande. Plus étonnant encore, cette brève rencontre avec elle, trente mois après celle qui précédait la sortie du film d’Olivier Dahan, révèle une femme transformée. Professionnelle jusque dans un sourire qu’on devine promotionnel, précise dans des réponses qu’on croirait parfois apprises par cœur ; on rêve que cette surface craque, qu’on retrouve la fille timide et un peu sauvage qu’elle était «avant». Mais non. Si Cotillard n’est pas encore tout à fait une star hollywoodienne — ça viendra — elle l’est déjà en surface.

Pentecôte

Reprenons : pour nous, Marion Cotillard a d’abord été une apparition. Une vraie. «Pentecôte» érotique dans le film d’Arnaud Desplechin, Comment je me suis disputé, son corps muet et nu ne pouvait qu’impressionner les rétines. Luc Besson, qui a l’œil pour repérer les actrices — reconnaissons-lui cela — l’engage pour le premier Taxi. Triomphe, mais dans ce film de couilles sans cerveau, la jolie Marion n’a pas grand-chose à défendre. C’est donc Guillaume Nicloux qui lui écrit son premier grand rôle : la femme double qui intrigue le détective Lhermitte dans Une affaire privée. Double, elle l’est également dans Les Jolies Choses, film regardable de Gilles Paquet-Brenner sorti au même moment et qui impose une Cotillard destroy. Chose rare en France, Cotillard ne joue pas de son physique mais avec son physique, associé à une palette de jeu qu’on sent déjà très vaste. Actrice romantique dans les post-Amélie Poulain Ma vie en l’air et Jeux d’enfants, dans une sucrerie sympa de Ridley Scott (Une grande année) et dans un conte réaliste de Burton (Big Fish), figure ambivalente dans le pervers Innocence, institutrice hystérique dans le choral Dikkenek, elle suscite des intérêts qui ne dépassent pourtant pas les premiers rôles dans des petits films, ou les seconds dans des grands. C’est ainsi, d’ailleurs, qu’elle décroche une première timbale, en jouant la vengeresse corse d’Un long dimanche de fiançailles de Jeunet, rôle magnifique qu’elle porte hardiment et qui lui vaut un premier césar. Puis vient La Môme et, jackpot, tout bascule. Direction : Hollywood.

Jeu de Frechette

Pour en arriver là, elle n’a jamais caché sa discipline de fer dans le travail. Elle a même mis les bouchées doubles pour incarner Billy Frechette, grand amour tragique du gangster Dillinger dans le film de Michael Mann. «Elle venait d’une tribu indienne du Wisconsin, et je suis allée rencontrer des gens de cette tribu, mais aussi des gens de sa famille ; j’ai regardé avec attention la seule interview qu’elle a donnée à l’époque, pendant qu’elle était en prison». Et ses racines françaises, dont le personnage parle dans le film ? «Elle avait des origines canadiennes, mais elle n’a jamais parlé le français.» D’où le challenge du tournage : «Il fallait que je trouve cet accent du Midwest. En plus, quand je tourne en anglais, je n’ai pas forcément les bons réflexes d’accent tonique. Après les prises, mon premier regard allait souvent à ma coach vocale, avant même Michael Mann, pour savoir si la prise était bonne au niveau de la diction pure». L’autre partie de la préparation, celle avec Mann justement, était aussi un travail de documentation. Il lui demande de regarder Baby Face pour s’imprégner de l’ambiance de l’époque ; elle tombe «en amour» du jeu de Barbara Stanwick et dévore tous ses films dans la foulée. Quant au côté très masculin et viril du cinéma de Mann, Cotillard souligne intelligemment que chacun de ses films réserve une place à un personnage féminin fort (elle cite Madeleine Stowe dans Le Dernier des Mohicans et Jada Pinket-Smith dans Collateral). «Michael est toujours entouré de femmes sur le plateau», ajoute-t-elle. Comme Jean-Pierre Melville, maître de plus en plus encombrant de Mann, et qui n’est sans doute pas pour rien dans la francisation du personnage de Frechette… Cotillard, à l’inverse, s’américanise sans complexe. Quant elle parle de La Môme, elle l’appelle par son titre américain, La Vie en rose ; elle s’apprête à tourner devant la caméra de Christopher «Dark knight» Nolan, avec Di Caprio comme partenaire ; et on la reverra entre temps aux côtés de Daniel Day Lewis dans la comédie musicale Nine. À la conquête du (nouveau) monde, elle n’est déjà plus La Môme Cotillard mais, comme Garbo ou Bacall, La Cotillard.

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