Je suis heureux que ma mère soit vivante

Après le fastidieux 'Un secret', Claude Miller cosigne avec son fils Nathan un film inattendu, sec et noir, qui emmène le fait-divers initial vers des abîmes d’ambiguïté. Et révèle un très grand acteur, Vincent Rottiers. Christophe Chabert

Le début du nouveau film de Claude (et Nathan) Miller provoque une certaine confusion. On y voit un gamin et un adolescent qui sont peut-être le même personnage, deux mères, un père qui a l’air de souffrir d’un mal inconnu… Deux environnements aussi : les vacances ensoleillées à la mer et l’atmosphère étouffante d’un appartement plongé dans le noir. La suite du film remettra les pièces de ce puzzle dans l’ordre, mais cette introduction éclatée aura semé le germe de l’inquiétude dans l’esprit du spectateur : quelque chose cloche dans la vie de Thomas, quelque chose lié à sa petite enfance, quand on l’appelait encore Tommy. Enlevé par l’assistance publique à une mère négligente, placé dans une famille idéale de petits-bourgeois accueillants, sur la voie d’une certaine stabilité sociale, il n’a pourtant jamais fait le deuil de ses origines. Révolté à l’adolescence, il profite de sa majorité pour partir à la recherche de sa «vraie» mère. Et la découvre dans une cité HLM, avec nouveau mec et nouvel enfant, encore jeune, encore désirable, toujours aussi peu responsable. Thomas ne sait pas quelle place prendre auprès de cette mère si peu maternelle, et elle ne sait pas vraiment quoi faire de ce garçon dans lequel elle a bien du mal à voir un fils. Œdipe froid Les Miller, avec une objectivité qu’on ne trouvait plus depuis longtemps dans le cinéma de Claude, prennent le temps de tisser les mailles de ce malentendu tragique. La sécheresse de la mise en scène, d’une sobriété à toute épreuve, crée ainsi une tension et une ambiguïté permanentes. Si l’on suit le moindre déplacement de Thomas, ses faits et gestes en apparence les plus anodins, on n’est jamais certains de ses motivations. Le film se développe ainsi sur ses zones d’ombre : jusqu’où l’œdipe, manifeste, va-t-il aller ? Pour arriver à cette sensation d’incertitude, Claude et Nathan Miller ont trouvé un allié décisif : l’hallucinant Vincent Rottiers. Un comédien capable de douceur et d’impulsivité dans le même plan, à la fois fragile et buté, instinctif et réfléchi. Une sorte de corps de fiction parfait, qui raconte sans arrêt par l’ambivalence de ses actions la confusion de son personnage. Rottiers donne au film son caractère chimiquement instable, indécidable, mais aussi attachant. Ce sang neuf et bouillonnant témoigne, après Tahar Rahim chez Audiard, de l’urgence d’ouvrir le cinéma français à de nouveaux visages…

Je suis heureux que ma mère soit vivante
De Claude et Nathan Miller (Fr, 1h50) avec Vincent Rottiers, Sophie Cattani…

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