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Gainsbourg (vie héroïque)
Par Christophe Chabert
Publié Mercredi 13 janvier 2010 - 5464 lectures
Cinéma / Avec sa bio filmée de Serge Gainsbourg, le dessinateur Joann Sfar propose un portrait très personnel, à la fois intime et historique, de cette icône controversée de la culture nationale. Un premier film déroutant, dont les qualités et les défauts sont pris dans les mêmes plis. Christophe Chabert
D’abord le sous-titre : "Vie héroïque". Puis l’accroche : «un conte de Joann Sfar». Ce Gainsbourg arrive entouré de deux précautions adressées au spectateur : la vie de Gainsbourg sur l’écran sera celle d’un héros, ce qui est le propre de tout biopic, notamment quand il s’attaque à des figures musicales mythiques, de Jim Morrison à Edith Piaf en passant par Ray Charles. Quant au conte, il dit la part d’invention que Sfar a prise avec la réalité du personnage public et privé — distinction qui, avec Gainsbourg, n’a pas grand sens. De fait, si le film est une œuvre extrêmement personnelle, une vision iconoclaste d’une icône controversée, il y a parfois en lui une étrange soumission aux scories de la biographie sur grand écran. Comme un papier plié méticuleusement mais qui, déplié, formerait un dessin aléatoire, "Gainsbourg (vie héroïque)" échappe aux jugements définitifs et oblige à l’examen attentif.
Héros national
Le film s’ouvre sur le jeune Lucien Ginzburg en pleine occupation allemande. Pendant que son père, immigré russe et musicien raté, l’oblige à jouer du piano, il se rêve en grand peintre français. Premier schisme intime : alors qu’il vient demander de son propre chef à porter l’étoile jaune, il tombe sur une affiche caricaturant physiquement l’ennemi juif. Dans un décrochage visuel gonflé, Sfar matérialise cette gueule monstrueuse par une créature à quatre bras poursuivant Lucien dans les rues. Image traumatique pour l’enfant, moins pour le spectateur : à l’écran, la séquence n’est guère convaincante, plus risible que drôle ou effrayante. C’est pourtant là que se joue la thèse développée ensuite par Sfar : ce masque grotesque auquel la France identifie Ginzburg (le Juif), Gainsbourg va le remplacer par un autre dont il deviendra prisonnier, mais qui l’immortalisera en héros français. À la revanche sociale attendue (l’homme laid et pauvre devenu une star aimée par des femmes sublimes), le dessinateur-cinéaste oppose un bras de fer politique entre l’enfant stigmatisé par un peuple et l’artiste applaudi par ce même peuple des années plus tard. Une thèse conclue par une toute aussi ratée "Marseillaise" chantée face à des paras énervés, avec en point d’orgue un bras d’honneur où Gainsbourg redevient le Lucien persécuté, tenant enfin sa revanche. Ce passage en force du discours dit assez bien l’ambivalence du film : quand il se contente de n’être qu’un biopic, il se suit sans ennui — Sfar fait même preuve d’un réel talent de conteur et de dialoguiste — mais n’évite pas les poncifs démonstratifs. Par contre, lorsque Sfar ose gripper un peu sa machine narrative par d’authentiques idées de cinéma, le film gagne en émotions ce qu’il perd en fluidité.
Autoportrait
Ainsi, le défilé des femmes célèbres qui ont entouré Gainsbourg et parfois partagé son lit constitue la part la plus stimulante de l’œuvre. Refusant l’enchaînement explicatif de la première partie, Sfar les fait surgir presque par magie dans le présent du héros, pour les faire disparaître avec la même soudaineté. Entre les deux, il arrache de magnifiques instants d’intimité érotique et de pures scènes de comédie ou de tragédie. La rencontre avec Greco-Mouglalis, remarquablement mise en scène, et surtout l’extraordinaire passage avec Bardot-Casta, provoquent alors de sacrés frissons. Le plan où Bardot danse nue en cachant son anatomie derrière un drap transparent est une idée splendide, un affolement des sens qui doit autant à la comédienne Casta (grande actrice, c’est le moment de le dire) qu’au regard fasciné de Sfar pour cette femme à la plastique parfaite. C’est là qu’il faut voir la singularité de "Gainsbourg (vie héroïque)" : il y a ici autant de Gainsbourg que de Sfar à l’écran, le film offrant un précipité parfait de son œuvre. Ce sont ses dessins que l’on voit peints par le personnage, son obsession pour les corps féminins, son rapport complexe à la judéité, et même son trait si singulier dans l’alter ego monstrueux que Gainsbourg s’invente… C’est, plus profondément, les deux versants de sa production que la structure du film reproduit : les bédés romanesques dans la première partie, les carnets autobiographiques dans la seconde. D’où le sentiment de liberté qui finit par se dégager de cette accélération finale où Sfar laisse courir sa caméra comme si elle ne traçait plus que des esquisses à main levée ; quelques plans solitaires, comme les ébauches d’un maître florentin immortalisant ses modèles — l’acteur Elmosnino, le héros Gainsbourg, l’auteur Sfar en plein autoportrait…
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Propos recueillis par Christophe Chabert
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