Un Oncle, des vieux et quelques clichés…

Festival de Cannes / En couronnant "Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures", le jury du festival de Cannes a conclu un festival terne par une note positive, provoquant quelques remous imbéciles. Dernier bilan en quatre points. Christophe Chabert

On le disait la semaine dernière : "Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures" d’Apichatpong Weerasethakul était une des rares joies de la compétition cannoise. On ne pensait pas alors que Tim Burton et ses camarades du jury auraient le courage de lui attribuer la Palme d’or — on pensait plutôt à "Poetry" dans le meilleur des cas, à "Another year" dans le pire… Du coup, joie immodérée à l’annonce du palmarès. Non seulement ce choix est mille fois justifié, mais il couronne une œuvre appelée à durer et un cinéaste qui n’a cessé de s’ouvrir au spectateur de films en films. À peine rendue publique, cette Palme a déclenché des réactions qui en disent long sur le délabrement actuel de la presse cinéma. Accusation d’élitisme (venant du "Figaro" ou du "Parisien", c’est-à-dire l’aristocratie de la presse française, il y a de quoi se tordre de rire !), procès pour lenteur arrogante et contemplation vaine…

Respect

Des cinéastes qui se regardent filmer et des films qui prennent le spectateur de haut, cela ne manquait pas à Cannes cette année ; mais pas "Oncle Boonmee" qui ne demande aucun savoir particulier, aucune référence et encore moins de réflexion pour l’apprécier. Mieux, Weerasethakul ne cesse de faire une place au spectateur sur l’écran pour l’inciter à entrer dans ce voyage à la fois prosaïque et onirique. Un exemple, au début : le fils revient couvert de poils à la table familiale. Un cinéaste hautain aurait laissé passer la chose, faisant des personnages les reflets de sa position de deus ex-machina ; un metteur en scène académique se serait lancé dans un recensement façon panel des réactions des convives, terreur, affliction, etc. Weerasethakul, lui, fait juste dire cette phrase à la tante : «Pourquoi est-ce que tu es couvert de poils ?». Soit la question que le spectateur se pose à cet instant précis, soulignant avec humour la bizarrerie de la situation. On peut dès lors partir sans crainte dans le premier récit à l’intérieur du récit : le cinéaste ne nous laissera jamais en plan, et nous offrira même le plus beau des cadeaux, un décollage cent mètres au-dessus de notre siège. "Oncle Boonmee", film sensoriel et kubrickien tendance "2001", mystérieux mais pas obscur, a quelque chose d’un film pour enfants : les animaux parlent, les humains ne meurent pas mais renaissent sous d’autres formes, il y a des princesses et des monstres… Cela doit être trop pour des critiques adultes qui ne savent même plus faire la différence entre l’arnaque et la sincérité, l’art et l’esbroufe. Une différence qui s’appelle respect du spectateur, et qui distinguait Lee Chang-dong de Mike Leigh (niveau humanisme), Kitano d’Iñarritu (niveau nihilisme), Loach de Liman (niveau politique).

Officiel

En guise de dernier bilan de ce festival, quelques pistes s’imposent. D’abord, l’inquiétant retour d’un cinéma officiel national, sur-représenté dans la compétition. Chongking blues pour la Chine, "Un homme qui crie" pour l’Afrique, La Nostra Vita pour l’Italie, Fair game pour l’Amérique, La Princesse de Montpensier pour la France, Soleil Trompeur 2 pour la Russie, et Hors la loi pour l’Algérie — même si le film est avant tout français, source du malentendu politique autour. Dans tous les cas, c’est le même académisme dispendieux et la même manière de faire passer un discours par-dessus une mise en scène inepte ou inutilement contemplative (là, on peut le dire !). On nous a beaucoup expliqué que cette sélection avait été faite avec ce qu’il y avait sous la main, que si les Malick, Coppola, Kechiche ou Moretti avaient été prêts à temps, ce cru 2010 aurait été bien différent. Mais rien ne prouve qu’ils auraient pris la place de Luchetti, Tavernier ou Mikhalkov, plutôt que celle de Kitano ou Im Sang-soo, soient les deux seuls films un peu rock’n’roll de la compétition — les deux grands absents du palmarès, par ailleurs.

Doyens

De Oliveira (101 ans), Woody Allen (74), Jean-Luc Godard (80)… Ce sont eux les cinéastes stars de ce festival. Leurs films ne sont pas parfaits (le De Oliveira se perd un peu dans quelques séquences, la deuxième partie du Godard n’est pas passionnante, le Woody Allen manque peut-être de tranchant), mais ce sont ceux qui ont résisté le plus longtemps après leur vision. Des films auxquels on a eu envie de revenir et de repenser sous des angles différents. Des films longs en bouche mais aux arômes complexes et stimulants. 

Photos

Dans L’Étrange Cas Angelica de De Oliveira, le héros photographie une morte, mais aussi les derniers paysans du Douro, et ces clichés accrochés à un fil dans sa chambre deviennent la source d’une obsession morbide mais pas mortifère. Un astucieux et rigolo premier film d’horreur uruguayen, La Casa muda de Gustavo Hernandez, était non seulement tourné avec un appareil photo, mais utilisait le Polaroïd comme un élément de tension dramatique. Dans Oncle Boonmee, dans Ha ha ha (le dernier Hong Sang-Soo, pas mal du tout), dans le Godard, la photo était elle aussi omniprésente, comme enjeu ou comme outil artistique. Ce fut le paradoxe le plus stimulant de Cannes : dans le plus grand festival de cinéma au monde, les meilleurs films avaient l’image fixe en point de mire, entre innovation technologique et retour aux fondamentaux du cinématographe.

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