City of life and death

Repêché in extremis par la distribution française, voici venir l’un des films parmi les plus puissants de l’année. Attention, choc esthétique et moral à prévoir. François Cau

Si l’insouciance estivale vous pèse, que la bonne humeur congénitale des vacanciers vous énerve, que vous brûlez d’alimenter votre désespoir du genre humain, n’hésitez plus, foncez voir le nouveau film de Lu Chuan. "City of life and death" relate, en 1937, la prise de la capitale chinoise Nankin par les Japonais, le siège et le massacre qui s’ensuivirent. Sujet doublement tabou, qui aura valu à son réalisateur quatre années de négociation avec la censure chinoise pour valider le scénario : d’une part, le Japon n’a toujours pas reconnu la responsabilité dudit massacre et sa seule évocation charrie son lot d’incidents diplomatiques. Et d’un autre côté, le traumatisme du viol de Nankin (tel qu’il est appelé par les historiens) est toujours aussi vibrant dans l’inconscient collectif chinois et épouser le point de vue compatissant d’un militaire nippon, comme le fait Lu Chuan, équivaut pour certains à une trahison nationale – le cinéaste a arrêté de compter les menaces de mort depuis la sortie du film… Mais "City of life and death" n’est pas que le récit en creux du courage de son auteur, c’est avant tout un coup de boule cinématographique à la puissance incroyable.

Horreur de l’humanité, et vice-versa

Dans un noir et blanc somptueux, le film démarre par un échange guerrier d’une violence saisissante. La reddition chinoise aux troupes japonaises n’apportera qu’une faible respiration à une narration déjà étouffante : dans les premiers massacres de prisonniers, Lu Chuan fait disparaître le soldat auquel, dans le chaos ambiant, le spectateur cherchait désespérément à s’identifier. Un tour pendable suivi d’une accumulation d’horreurs toutes plus choquantes les unes que les autres, vouées non pas à souligner la cruauté nippone face à la pureté chinoise, comme on a pu le lire à propos du film, mais à démontrer l’impact irréversible des machines guerrières et militaires, à questionner notre humanité comme nos pulsions de vie dans les situations les plus extrêmes. La multiplication des points de vue accentue la force de ce propos tout au long du film, détourne la putasserie un temps redoutée pour transformer cette œuvre profondément éprouvante en un cri de rage d’une ampleur insensée. On peut discutailler pour savoir si "City of life and death" est un chef-d’œuvre définitif, on s’accordera néanmoins sur une évidence : dans le paysage artistiquement dévasté de la Chine contemporaine, Lu Chuan est l’un des derniers auteurs encore debout.

à lire aussi

derniers articles publiés sur le Petit Bulletin dans la rubrique Musiques...

Mardi 31 octobre 2023 Le festival Lumière vient de refermer ses lourds rideaux, les vacances de la Toussaint lui ont succédé… Mais ce n’est pas pour autant que les équipes de (...)
Mardi 31 octobre 2023 Si le tourisme en pays caladois tend à augmenter à l’approche du troisième jeudi de novembre, il ne faudrait pas réduire le secteur à sa culture du pampre : depuis bientôt trois décennies, Villefranche célèbre aussi en beauté le cinéma francophone....
Mardi 5 septembre 2023 C’est littéralement un boulevard qui s’offre au cinéma hexagonal en cette rentrée. Stimulé par un été idyllique dans les salles, renforcé par les très bons débuts de la Palme d’Or Anatomie d’une chute et sans doute favorisé par la grève affectant...
Mardi 29 août 2023 Et voilà quatre films qui sortent cette semaine parmi une quinzaine : N° 10, La Beauté du geste, Alam puis Banel & Adama. Suivez le guide !
Lundi 5 septembre 2022 Bien qu’il atteigne cette année l’âge de raison avec sa 7e édition, le Festival du film jeune de Lyon demeure fidèle à sa mission en programmant l’émergence des (...)
Mercredi 17 août 2022 Et si Forrest Gump portait un turban et dégustait des golgappas plutôt que des chocolats ? L’idée est audacieuse mais aurait mérité que le réalisateur indien de Laal Singh Chaddha se l’approprie davantage. Si l’intrigue réserve forcement peu de...
Mercredi 11 mai 2022 Alors que son film posthume Plus que jamais réalisé par Emily Atef sera présenté dans la section Un certain regard du 75e festival de Cannes, l’Aquarium (...)
Vendredi 13 mai 2022 Fruit du travail de bénédictin d’un homme seul durant sept années,  Junk Head décrit en stop-motion un futur post-apocalyptique où l’humanité aurait atteint l’immortalité mais perdu le sens (et l’essence) de la vie. Un conte de science-fiction avec...
Mardi 26 avril 2022 Les organisateurs d’On vous ment ont de le sens de l’humour (ou de l’à propos) puisqu’ils ont calé la septième édition de leur festival pile entre la présidentielle et les législatives. Une manière de nous rappeler qu’il ne faut pas tout...

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X