Esclave en fusion

Cette semaine dans la sélection «À vos classiques !» à l’Institut Lumière, "The Servant" de Joseph Losey est une des réussites exemplaires du cinéaste et de son scénariste Harold Pinter lorsqu’ils œuvraient ensemble en Angleterre dans les années 60. Christophe Chabert

The Servant (1963) repose sur ce qu’on appelle des «coups de théâtre», renversements de situations dessinant une implacable machination dont le personnage principal, l’aristocrate Tony, serait la victime. Au sens strict du terme, il y a bien quelque chose de théâtral dans ce film magistral de Joseph Losey : son scénariste, Harold Pinter, immense dramaturge anglais qui collaborait là pour la première fois avec le cinéaste en exil. Si The Servant sort rarement de la maison de Tony, si les dialogues sont écrits avec la précision du théâtre pinterien, la force du film est avant tout dans sa mise en scène. La caméra de Losey est la véritable source du sentiment d’étrangeté et d’inquiétude qui naît dès les premiers plans. La visite de Barrett (Dirk Bogarde, génial d’ambiguïtés psychologique et sexuelle) chez Tony est résumée dans un atypique champ-contrechamp : d’un côté, Barrett, debout et droit comme un I ; de l’autre, Tony, allongé sur un canapé, encore endormi. Dans les deux axes, c’est un léger travelling vers le bas ou vers le haut qui vient contredire le sens de la scène : si Barrett se met au service de Tony, c’est bien lui qui le domine depuis la première image.

Service et versa

Parce qu’il croit que son statut d’aristocrate oisif le préserve des troubles sociaux, parce qu’il pense qu’une vie normale passe par un mariage avec une femme de son rang, Tony ne voit rien venir des intentions de Barrett. Losey filme les intrusions de ce serviteur dévoué, puis envahissant et finalement dominateur en le laissant occuper les interstices des plans : il se glisse littéralement entre Tony et sa fiancée, que ce soit en se plantant au centre de l’image ou en se reflétant dans les innombrables miroirs qui viennent occuper tout ou partie du cadre. Que veut exactement Barrett ? L’argent, le pouvoir ou les faveurs sexuelles de son maître ? Losey et Pinter, tirant profit des contraintes de la censure, ne tranchent jamais, mais le dernier acte ressemble violemment à un instantané de vie de couple (le dialogue sur le «régiment» et la scène qui s’ensuit vont loin dans l’implicite). C’est donc souvent la mise en scène qui expose le propos : dans les moments-clé où les rapports de force se retournent, la chorégraphie méticuleuse des plans laisse la place à une caméra à l’épaule fébrile ou à un montage tout en raccords abrupts. C’est le sujet de The Servant : la rigidité de la haute société anglaise secouée par le désir et le désordre qui montent d’en bas, incontrôlables.

The Servant
À l’Institut Lumière, du vendredi 17 au mardi 21 juin

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