Lumière, le week-end : Dernier atout

Bilan avant fermeture…

Comme d’habitude, on a fini le festival absolument cramé des neurones, et trempé de la tête aux pieds, la météo ayant décidé à mi-parcours de passer de l’été à l’automne sans transition. Un peu indécis aussi, sur cette édition de Lumière 2011. Si on la juge à la quantité de bons films vus, il n’y a rien à redire. Si on mesure son succès à l’affluence des spectateurs, pas de souci, sinon peut-être celui des charters de scolaires ayant parfois servi à remplir les séances, selon la méthode bien rôdée du théâtre public subventionné qui va compléter ses budgets avec la manne de l’éducation nationale et le racket des parents d’élèves. Mettons que c’est de bonne guerre… Enfin, si on s’attarde sur les invités et surtout, sur la qualité de leurs présentations, il faut reconnaître que Lumière a fait un sacré bond : on n’oubliera pas de sitôt cette séance mythique où Depardieu, Kervern, Delépine, Gianolli et Dupontel sont venus parler de Pialat et de "Sous le soleil de Satan", arrivant à concilier analyse sérieuse, anecdotes drôlissimes et évocation émouvante. 30 minutes hallucinantes, passionnantes, qui résument la générosité avec laquelle Depardieu a empoigné l’hommage qui lui a été rendu, allant présenter toutes les séances du samedi avant sa consécration par le Prix Lumière le soir à l’Amphi 3000. Mais Avary présentant "The Plague dogs", Dupontel parlant du "Trou", Jean-Paul Gauthier relatant son rapport à "Falbalas", sans oublier les présentations de gens moins célèbres mais tout aussi passionnants (saluons ainsi l’équipe du Comœdia, qui fait bien plus qu’accueillir le festival, mais qui y participe activement, cf les instructifs commentaires de Dominique Mathias en ouverture de "Park Row" de Fuller) ; ce pari, d’abord hésitant, est aujourd’hui tenu.Qu’est-ce qui cloche, alors ? Un truc de fond, qui nous a éclaté à la gueule lors de la conférence de presse de Depardieu le dimanche matin : toute la semaine, on a eu le sentiment d’osciller entre grande célébration festive de la cinéphilie et oraison crépusculaire à un art perdu. Tout a commencé avec Jean-Paul Rappeneau nous expliquant qu’il avait passé trois ans sur un projet qui n’a pu aboutir, faute de financement. Puis ce fut Roger Avary qui, en présentant "The Plague dogs", expliqua que les spectateurs américains d’aujourd’hui n’étaient plus capables de ressentir «le spectre des émotions» procurées par le cinéma, notamment les plus sombres et les plus tristes ; ou Dupontel, qui disait avec un brin de fatalisme que tous les grands films ont été des échecs en leur temps, parlant du "Trou" mais appliquant probablement la formule à quelques œuvres contemporaines un peu vite vilipendées par des spectateurs pressés et soucieux d’efficacité immédiate ; enfin, Depardieu donc, qui mit les pieds dans le plat en expliquant comment, peu à peu, le cinéma contemporain l’avait désintéressé. Producteurs flamboyants remplacés par des responsables de chaînes incultes, des distributeurs frileux, des cinéastes qui ne sont plus guère que des réalisateurs visuellement compétents, autrement dit de braves petits soldats de l’industrie. Et combien de fois, en sortant d’une projection, se disait-on que personne en France, aujourd’hui, ne réussit des comédies aussi bonnes que "Le Sauvage" de Rappeneau, ou "Édouard et Caroline" de Becker ; Que "Sous le soleil de Satan", c’est quand même plus couillu que "Des hommes et des Dieux" ; que "Le Trou", ça reste quoiqu’on en dise un film qui fait l’honneur du cinéma français, tant s’y invente une maestria du récit dans l’épure la plus complète, l’art et le divertissement ne faisant d’un seul coup plus qu’un… C’est l’effet traître de Lumière : en piochant dans 110 ans de cinéma 70 films, il donne l’impression d’en résumer l’Histoire, alors qu’il n’en retient que l’essentiel. L’accessoire, c’est-à-dire toutes les daubes que l’on voit et chronique à longueur d’années dans nos colonnes, est appelé à disparaître de nos mémoires, de la mémoire. À ce titre, les 20 ans de Rhône-Alpes cinéma illustraient bien la chose : 200 films, mais combien d’importants ? Pas beaucoup, à peine de quoi remplir les affiches célébrant leur anniversaire…Pas de bol, car la semaine du festival Lumière, "Drive" est sorti sur les écrans. Et on ne pouvait s’empêcher de penser que pendant qu’on déployait le tapis rouge au cinéma du passé, dans les mêmes salles se jouait peut-être son avenir. Quel avenir ? Celui d’un cinéma d’auteur européen qui s’hybride joyeusement avec les codes mainstream américain, où les stars, soudain responsables, sentent que c’est elles qui ont aujourd’hui le pouvoir de faire changer la donne et de rendre aux metteurs en scène les moyens d’accomplir leur vision. On ne dit pas que tout ce qui s’est dit pendant Lumière était faux : oui, la situation est grave, les décideurs sont des idiots omnipotents ne jurant que par le pognon mais sachant surtout en dépenser n’importe comment (la sinistre affaire de "La Guerre des boutons", fiasco commercial à 29 millions d’euros minimum…), les yes men envahissent l’espace du cinéma français et inondent de leurs produits pourris les salles comme hier les actifs toxiques détruisaient insidieusement les banques… Mais on n’a pas tellement envie que Lumière devienne un festival de la nostalgie. Le cinéma est un peu malade, mais il n’est pas impossible à guérir. Les anticorps, ce sont les spectateurs, qui doivent une bonne fois pour toutes user du grand pouvoir qui est entre leurs mains : dire au mauvais cinéma contemporain qu’il l'est, refuser conjointement inepties commerciales et auteurisme arrogant pour faire dès à présent le tri dans l’offre proliférante qui débarque chaque semaine. Écrire, ici et maintenant, le festival Lumière 2061, en quelque sorte.

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