Cannes jour 3 : Par-delà les limites

Au-delà des collines de Cristian Mungiu. Laurence Anyways de Xavier Dolan. Beasts of the southern wild de Benh Zeitlin

Les projections s'enchaînent à la vitesse de l'éclair, confirmant que si Cannes 2012 n'a pas encore prouvé qu'il était un bon cru, il s'avère particulièrement riche en propositions, au risque de ne plus savoir où donner de la tête.

Commençons par la compétition qui, pour l'instant, ne décolle pas vraiment. On misait gros sur le nouveau film de Cristian Mungiu, récipendiaire de la Palme pour son excellent 4 mois, 3 semaines, 2 jours. Mais Au-delà des collines est une déception, et si on ne participera pas au lynchage qui a commencé à la fin de la projection de presse, force est de reconnaître que le cinéaste a sans doute pêché par excès d'orgueil. Le pêché est au centre du film, qui raconte les retrouvailles entre deux filles, amantes lorsqu'elles vivaient ensemble dans le même pensionnat et qui se sont séparées temporairement. Alina est allée travailler comme serveuse en Allemagne ; Voichita a trouvé refuge dans un monastère orthodoxe isolé sur une colline au-dessus de la ville. Alina revient en Roumanie espérant emmener avec elle Voichita, mais celle-ci tergiverse, visiblement tiraillée entre sa foi nouvelle et son ancienne amoureuse.

Tergiversation fatale à Alina, mais aussi au spectateur. Mungiu va poser lentement, très lentement, l'engrenage qui va conduire au drame, inéluctable. Il décrit en longs plans-séquences très dialogués la vie du monastère, dirigé par un prêtre que les nonnes appellent "Papa". Ce goût du temps réel, de la mise en scène de la parole dans la durée, avec ses hésitations, ses avancées et ses reculs, est le moteur de toute la nouvelle vague roumaine dont Mungiu est devenu, Palme oblige, l'ambassadeur. Mais comme son compatriote Cristi Puiu avec Aurora, il semble ici ne plus savoir où commencer et arrêter ses plans, et les 90 premières minutes d'Au-delà des collines s'apparentent à un long surplace. Certaines scènes sont belles — Anna s'allongeant seins nus sur le lit de Voichita, seul moment d'érotisme frontal du film, ou encore les quelques scènes où Mungiu sort du monastère pour ramener ses nonnes dans la vie réelle, comme cette scène au commissariat où il retrouve la vitalité et l'humour très noir de son film précédent - mais la plupart du temps, on a le sentiment d'un dogmatisme formel, d'un ascétisme qui rentre en contradiction totale avec le sujet.

Surtout, il faut être d'une grande mauvaise foi pour ne pas deviner où le film va nous emmener, et l'on se retrouve à subir son programme, attendant plus ou moins patiemment la montée en puissance de la dernière heure. Mungiu y confirme qu'il est un vrai cinéaste, même si on se demande s'il n'en est pas trop convaincu lui-même.

Dans le flot des films vus, on dira quelques mots du Xavier Dolan, Laurence Anyways. Lui aussi semble persuadé qu'il est un immense metteur en scène et que ce troisième film est déjà son chef-d'œuvre définitif. Il faudra le calmer un peu, car si on note une nette amélioration par rapport à ses piteuses Amours imaginaires, Laurence Anyways est aussi un long fourre-tout parfois inspiré, parfois ridicule. Le début notamment, est un concentré du style Dolan, avec ses scènes d'intimité hystérique et ses clips sous influence. Mais en plaçant l'histoire à la fin des années 80 et en le baignant dans une musique d'époque (Balavoine compris !), on a l'impression de voir renaître Adrian Lyne ou Tony Scott. Ce qui est piquant quand on sait que Dolan lorgne plutôt vers Godard ou Wong Kar Wai... Le film s'améliore dans ses deux autres actes, et Dolan réussit à filmer les aléas des sentiments, à défaut d'en faire un traité à la Roland Barthes. Le jour où il laissera ses références à leur place (ici Jérôme Bosch, Martin Parr et Proust), quand il mettra un peu d'ordre dans ses effets, Dolan réussira peut-être un grand film. Il en est encore loin.

La grande révélation du festival, pour l'instant, c'est dans la section Un certain regard qu'on l'a trouvée avec le sensationnel Beasts of the southern wild de Benh Zeitlin. Le film est tellement impressionnant qu’on a du mal à croire qu’il s’agit d’une première œuvre (et on n’a pas souvenir avoir vu premier film si abouti depuis quatre ans qu’on vient au festival). Il commence comme un docu-fiction ethnographique, genre à la mode dans le cinéma indé américain depuis Winter’s bone, avec notamment un passage dément où les habitants de ce bassin menacé d’engloutissement et vivant dans des conditions proches de la pure survie célèbrent un carnaval joyeux et endiablé pour défier le pouvoir industriel qui voudrait les chasser de leur terre.

Le film est raconté à la hauteur d’une enfant de 6 ans, Hushpuppy, qui commente en voix-off les événements, et notamment la lente agonie de son père rugueux et gueulard, âme de la résistance dans cette communauté d’irréductibles. Quelque chose de cosmique circule dans chaque plan du film, ce que l’apparition d’un letimotiv fantastique ne fera qu’amplifier. Les «bêtes sauvages» du titre grondent littéralement entre les séquences, progressant lentement dans l’imagination de Hushpuppy, à moins qu’elles ne menacent de fondre sur cette terre primitive. On peut penser aux sublimes visions d’enfance du Tree of life de Malick. Mais pour être tout à fait juste, c’est plutôt du côté de Max et les maximonstres qu’il faut aller chercher une parenté à ce Beasts of the southern wild, même si le film possède une indéniable singularité. L’émotion qui saisit le spectateur va crescendo, et on en sort les yeux embués, les poils dressés, des souvenirs indélébiles dans la tête.

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