Villeurbanne, acte 1 : un petit tour en Rhône-Alpes

Première étape d'un compte-rendu au long cours du 33e festival du film court de Villeurbanne. Christophe Chabert

Le 33e festival du film court de Villeurbanne s’est ouvert avec un programme appelé à circuler sur les écrans de la région, et pour cause puisqu’il regroupe des films tournés en Rhône-Alpes et coproduit par Rhône-Alpes cinéma. On le sait, la structure a parfois la main lourde en ce qui concerne ses choix sur le long-métrage ; elle a de toute évidence une meilleure politique en matière de courts, et ce programme en témoigne de belle manière. Les cinq films proposés ne sont pas tous parfaits, mais aucun n’a à rougir de se retrouver là.

Kali le petit vampire

Commençons par l’animation avec Kali le petit vampire de Regina Pessoa. Comme souvent avec le court animé, difficile de créer l’osmose entre la forme et la narration, l’un finissant toujours par prendre le pas sur l’autre. Ici, le commentaire méditatif qui accompagne cette fable à destination du jeune public a tendance à être recouvert par un style graphique très élaboré, avec un noir et blanc légèrement teinté et troué par quelques éclats de couleurs (rouge sang), jouant sur les ombres et les angles à la manière de l’expressionnisme allemand. Joli, mais un peu vain.

Mon amoureux

Avec Mon amoureux, qui avait eu les honneurs de la compétition à Villeurbanne en 2011, Daniel Metge affirme un style de cinéaste que son précédent et décevant Ornières laissait juste deviner. Le film suit le week-end de deux sœurs : l’une, Lorie, est autiste (Miss Ming), l’autre, Estelle,   est un peu paumée sentimentalement (Salomé Stévenin). Estelle emmène Lorie et son amoureux, Romain, autiste lui aussi, à la campagne pour que tous deux aient, à l’abri des regards, leur premier rapport sexuel. Sujet scabreux, qui a donné lieu au meilleur (Oasis de Lee Chang Dong) comme au pire (T’Aime de Patrick Sébastien). Metge se situe entre les deux : son regard est juste, pudique sans pour autant se voiler la face, intelligent quoique trop conscient de son propre discours. On sent parfois le scénariste reprendre le dessus sur le metteur en scène, comme lorsque la question de la "stérilisation" de Lorie est amenée sur le tapis, ou quand, au détour d’une réplique, on découvre qu’Estelle n’est pas aussi détendue qu’elle en a l’air vis-à-vis du handicap de sa sœur. Surtout, la quête de justesse du film le conduit, dans le fond, à ne pas vraiment prendre de risque ; on sent que Metge brûle de passer au long métrage, et que chacun de ses courts est comme un dépôt de garantie vis-à-vis de ses futurs producteurs.

Les Chiens verts

C’est un peu pareil pour les frères Rifkiss. Les Chiens verts est leur quatrième court et leur première comédie. Le film raconte façon Full monty (mais on peut aussi penser au récent Les Seigneurs, au pitch approchant) la revanche d’une bande de footeux vieillissants qui remontent une équipe pour aller défier celle du DRH qui les a virés. L’argument social passe vite à l’as au profit de ce portrait de groupe dont seuls deux éléments ont vraiment droit à un traitement approfondi. Dommage, même si c’est quand même un bonheur de voir le grand Pascal Demolon faire une fois de plus la démonstration de son potentiel comique. On se demande toutefois si les Rifkiss se sentent vraiment à l’aise avec le genre : les gags sont soit répétés plusieurs fois avec un montage elliptique, soit relégués dans le hors champ visuel et sonore, comme si la mise en scène de la comédie devait se faire en dehors du plateau, jamais devant la caméra.

Bad gones

Bad gones de Stéphane Demoustier s’inscrit dans la lignée dardenienne d’un cinéma social d’action (à ne pas confondre avec le cinéma d’action sociale !) : un récit circonscrit à un espace-temps extrêmement précis (les alentours du stade de Gerland un soir de match), raconté par une caméra mobile qui ne devance jamais les situations et les personnages, mais accompagne leurs faits et gestes plutôt que leurs discussions. Un père a promis à son fils de l’emmener voir l’OL à Gerland ; sur place, il constate qu’il n’a pas assez d’argent pour payer deux billets. Pour éviter de décevoir son fils, le père ira jusqu’au vol pour honorer sa promesse. Demoustier ne porte pas de jugement sur l’acte, qui n’entraîne d’ailleurs aucun châtiment : le lien filial est plus fort que l’impératif du respect de la loi. En filigrane se dessine la question sociale du film : la misère doit-elle conduire à toutes les privations ? Jusqu’où peut-on aller pour garder l’estime de son enfant ? Sous ses allures modestes, Bad gones est en définitive assez complexe…

Ouvrons ici une parenthèse dans le programme : Demoustier se retrouve cette année en compétition à Villeurbanne avec un autre film, Fille du calvaire. Cette fois-ci, il fait le choix d’un récit bourré d’ellipses où deux hommes, l’un jeune, l’autre plus tellement, se rejoignent tous les matins dans le métro à la station Fille du calvaire. Le premier vient de rencontrer une femme, une chanteuse dont il est tombé amoureux, et il raconte jour après jour à son ami le coup de foudre, le premier échange, le premier rendez-vous, ses inquiétudes (a-t-elle un copain ?) et ses élans. En retour, il lui prodigue des conseils, vivant l’histoire par la procuration de la parole. Une parole privée exprimée dans un espace public, intime mais dévoilée dans une promiscuité totale. Le dispositif ne sera brisé que dans la dernière séquence, énigmatique et pas forcément réussie. Le film, pas mal du tout, s’avère un exercice sur le discours amoureux entre Rohmer et Eustache. Demoustier intrigue : il arpente des territoires cinématographiques très identifiés et les renouvelle par les défis techniques qu’il se lance (tourner de nuit pendant un vrai match avec Bad Gones, dans une rame en mouvement bourrée de passagers pour Fille du calvaire).

American football

Enfin, le meilleur film de ce Rhône-Alpes tout court est aussi, pour l’instant, notre favori pour la compétition européenne (il est présenté dans le programme 6) : American Football de Morgan Simon. On y voit Zach, chanteur dans un groupe de hardcore, tatoué des pieds à la tête ou presque — son tatoueur et mentor lui propose d’ailleurs de «l’empailler après sa mort pour l’exposer dans sa vitrine» — rencontrer une petite vendeuse de «cupcakes» qu’il drague après son concert, avec qui il passe la nuit, mais surtout à qui il va voler son portefeuille afin de pouvoir payer le tatouage qui lui permettra de partir en tournée. On est vite saisi par le mouvement impulsé à l’image par le réalisateur : une descente des pentes de la Croix-Rousse en vélo, un étourdissant plan-séquence chez le tatoueur où la caméra virevolte au rythme de la parole et des gestes des comédiens, le tout avec un naturel bluffant. Tout le film est porté par cette énergie juvénile, sauvage, cette capacité à retranscrire par les mots et les silences toutes les humeurs des personnages : vannes, provocations, sentimentalité, confessions à mi-mot… Il y a ainsi quelque chose de très contemporain dans la mise en scène de Morgan Simon : à la manière de certains cinéastes américains, il a compris que le support film pouvait être un réservoir à images de natures diverses : concert filmé, vidéo intime tournée au téléphone portable… L’important est de ne jamais perdre de vue la sincérité de ce que l’on raconte et de laisser les comédiens guider les plans, d’en être la chair vivante et vibrante, l’unité fondamentale. Le court parfait, en somme.

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