La Chambre bleue

La Chambre bleue
De Mathieu Amalric (Fr, 1h15) avec Mathieu Amalric, Léa Drucker...

Comme un contre-pied à "Tournée", Mathieu Amalric livre une adaptation cérébrale, glacée et radicale d’un roman de Simenon, où l’exhibition intime se heurte au déballage public, laissant dans l’ombre le trouble d’un amour fou et morbide. Intrigant. Christophe Chabert

Que s’est-il passé dans la chambre bleue ? Le film fait d’abord semblant de ne rien cacher des ébats auxquels se sont livrés Julien et Esther, qui se sont connus au lycée et se retrouvent, quadras et mariés, pour vivre une passion adultère. Mathieu Amalric filme leurs corps nus dans des compositions ouvertement picturales et fragmentées, soulignées par une image au format carré et un usage méticuleux des longues focales : une lèvre mordue, un sexe féminin, une main qui caresse un ventre ; et au milieu une goutte de sang sur un drap immaculé, qui trouvera un écho plus tard dans un éclat de confiture qui tombe sur un sol blanc.

Cette déconstruction de l’espace s’accompagne d’une déconstruction du temps : un crime a été commis et Julien se retrouve devant des policiers, un avocat, un psychologue… Qui a tué qui et pourquoi ? La Chambre bleue n’a pourtant rien d’un polar et ce qui intéresse Amalric dans le roman de Simenon, c’est un tout autre mystère : celui qui unit deux amants dont le secret est soudain dévoilé aux yeux de tous. C’est ce mystère qui rôde dans les interstices des plans, au carrefour d’une mise en scène faussement exhibitionniste et du déballage médiatique et judiciaire qui jette Julien et Esther en pâture à l’opinion publique.

Cet obscur désir de l’objet

Après l’échappée belle, vitale et excentrique de Tournée, La Chambre bleue marque le retour d’Amalric à la veine cérébrale, glacée et ouvertement moderniste du Stade de Wimbledon — la maturité en plus. Si la mise en scène évoque Bresson, Resnais et même Godard, c’est curieusement le spectre de Michel Deville qui apparaît en fin de compte avec ce mélange de sensualité et de maniérisme. Ce formalisme-là fait un dommage collatéral : la narration, plutôt confuse à force de ne se vouloir qu’impressionniste, même si le scénario a l’intelligence d’ajouter régulièrement des éléments venant renverser les certitudes du spectateur et maintenir vivant son intérêt pour l’intrigue.

Amalric est en revanche très fort lorsqu’il s’agit d’exposer son sujet à travers des motifs purement visuels : les nombreuses portes et fenêtres entrouvertes qu’il dispose dans le cadre sont autant d’ouvertures vers une intimité menacée par l’intrusion de l’extérieur, que ce soit la morale, la justice ou la raison. Autant de discours et de regards qui se heurtent à un désir indicible et sulfureux que le film emporte avec lui jusqu’à sa dernière image.

La Chambre bleue
De et avec Mathieu Amalric (Fr, 1h16) avec Stéphanie Cléau, Léa Drucker…
Sortie le 16 mai

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 17 décembre 2019 Sa femme s’éloigne, son frère se sépare, son aristocrate de mère le fait tourner en bourrique, sa grand-mère n’est plus très vaillante, sa cousine lui fait de l’œil ; il a du mal avec ses filles… Malgré cet environnement intime bancal, le novice en...
Samedi 17 août 2019 Lassé par ses années d’échec au théâtre, Franck se fait recruter comme gardien vacataire dans un musée. Sa présence suscite l’hostilité de Sibylle, une consœur rigide, mais complète le staff et permet au conservateur de lancer un inventaire des...
Mardi 17 avril 2018 Entre cuisine, dépendance et grand jardin, le nouveau ballet orchestré par Jaoui et Bacri tient de la comédie de caractères, s’inscrivant dans la lignée du théâtre de Molière, au point de tendre à respecter la triple unité classique. Une féroce et...
Mardi 19 mai 2015 Conçu comme un prequel à "Comment je me suis disputé...", le nouveau et magistral film d’Arnaud Desplechin est beaucoup plus que ça : un regard rétrospectif sur son œuvre dopé par une énergie juvénile, un souffle romanesque et des comédiens...
Mardi 27 mai 2014 Retour sur une drôle de compétition cannoise, non exempte de grands films mais donnant un sentiment étrange de surplace, où les cinéastes remplissaient les cases d’un cinéma d’auteur dont on a rarement autant ressenti le formatage. Christophe...
Mardi 13 mai 2014 Après une édition 2013 dominée par un fort contingent franco-américain, les sélections du festival de Cannes 2014 sont beaucoup plus ouvertes sur les cinémas du monde, avec (déjà) des favoris et quelques outsiders que l’on va suivre de...
Mardi 25 février 2014 Avec "The Grand Budapest Hotel", Wes Anderson transporte son cinéma dans l’Europe des années 30, pour un hommage à Stefan Zweig déguisé en comédie euphorique. Un chef-d’œuvre génialement orchestré, aussi allègre qu’empreint d’une sourde...
Mardi 25 février 2014 De Sophie Fillières (Fr, 1h42) avec Emmanuelle Devos, Mathieu Amalric…
Vendredi 10 janvier 2014 Derrière une intrigue de polar conduite avec nonchalance et un manque revendiqué de rigueur, les frères Larrieu offrent une nouvelle variation autour de l’amour fou et du désir compulsif. Si tant est qu’on en accepte les règles, le jeu se révèle...
Mercredi 6 novembre 2013 Une actrice, un metteur en scène, un théâtre et "La Vénus à la fourrure" de Sacher-Masoch : un dispositif minimal pour une œuvre folle de Roman Polanski, à la fois brûlot féministe et récapitulatif ludique de tout son cinéma. Christophe Chabert
Mercredi 4 septembre 2013 Changement d’époque et de continent pour Arnaud Desplechin : dans l’Amérique des années 50, un ethnologue féru de psychanalyse tente de comprendre le mal-être d’un Indien taciturne. Beau film complexe, Jimmy P. marque une rupture douce dans l’œuvre...
Vendredi 21 octobre 2011 Dans Poulet aux prunes, Marjane Satrapi fait mieux que transformer l’essai de Persépolis : avec son comparse Vincent Paronnaud, ils retranscrivent en prises de vue réelles l’imaginaire débordant de ses bandes dessinées, en gorgeant les images...
Mercredi 23 juin 2010 Débordant de vie, avec tout ce que cela comporte d’euphorie, de déprime, de coups de cœur et de coups de gueule, Tournée est avant tout un film de flux et (...)
Mercredi 23 juin 2010 Acteur prodige dont la réputation déborde aujourd’hui les frontières françaises, Mathieu Amalric signe avec "Tournée" son quatrième — et meilleur — film en tant que réalisateur. Rencontre. Propos recueillis par Christophe Chabert
Vendredi 10 juillet 2009 D’Arnaud et Jean-Marie Larrieu (Fr, 2h10) avec Mathieu Amalric, Karin Viard… (sortie le 19 août)
Mercredi 18 février 2009 De David Charhon (Fr, 1h38) avec Elie Semoun, Léa Drucker…
Mercredi 8 octobre 2008 D’Antoine De Caunes (Fr, 1h43) avec François-Xavier Demaison, Léa Drucker, Olivier Gourmet…

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X