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Lumière 2014, jour 5 – Comédie érotique d'un après-midi d'automne

«Overlord» de Stuart Cooper, «Trains étroitement surveillés» de Jiri Menzel, «Andreï Roublev» d’Andreï Tarkovski.

Le festival Lumière entre dans sa dernière ligne droite, et même s’il reste deux jours de projections et encore pas mal de choses à découvrir, l’envie est grande de lever le pied et de se faire simplement plaisir. Autant dire que la nouvelle d’une projection surprise de Piège de cristal en présence de son mythique réalisateur John MacTiernan ce samedi à 20h45 à l’UGC Ciné Cité Confluence a fait l’effet d’une petite bombe. Non seulement parce que le film est génial, mais aussi parce que MacTiernan sort d’une année passée en prison, et qu’il est toujours bon d’aller lui témoigner sa gratitude de spectateur. On en reparle demain, bien entendu.

D’ailleurs, pendant que la plupart des festivaliers saluaient la remise du Prix Lumière à Pedro Almodóvar, on s’est offert une «grande projection» — la seule de cette section — celle d’Andreï Roublev de Tarkovski. Pas vraiment un film de distraction, certes, même si on se disait en entrant que Lumière était quand même un festival à part. Quelle autre manifestation pourrait, un vendredi soir, remplir une salle de 350 places avec un film russe de 3 heures vieux de quarante-cinq ans ? Qui plus est, une fois n’est pas coutume au cours de cette édition, avec un public plutôt jeune ? On n’avait jamais vu le film sur grand écran — condition nécessaire pour en admirer la splendeur — et pas revu tout court depuis une bonne dizaine d’années. À l’arrivée, une légère frustration s’est faite sentir. Roublev, ce n’est ni Stalker, ni Nostalghia, plutôt une grande œuvre labyrinthique dont Tarkovski ne cesse de déplacer le centre, obligeant le spectateur à chaque chapitre à remettre en causes ses certitudes sur l’optique choisie par l’auteur pour raconter la vie de ce peintre iconographe du XVe siècle. Cela étant, magie du festival bis, sur le trajet du retour, de passionnantes discussions sont parties autour du film avec mes camarades de séance, comme on n’en avait pas eu depuis des lustres — cinéphilie, not dead !

Passons aux découvertes du jour, à commencer par Overlord, revenu tout droit de Cannes Classics où il était présenté cette année, et amené sur un plateau au festival par l’excellent Peter Becker, patron des éditions vidéo américaines Criterion, qui l’a présenté avec une précision remarquable, force anecdotes sur sa fabrication et une passion qui, là encore, est le signe d’une cinéphilie internationale en pleine forme. Cette introduction était tellement bien qu’elle a presque handicapée la vision du film. Car Becker avait dévoilé la prouesse technique sur laquelle repose la mise en scène de Stuart Cooper : mêler de manière fluide archives filmées durant le D-Day de 1944 et fiction reconstituant l’itinéraire d’un jeune soldat anglais qui s’apprête à débarquer sur les plages normandes. Avec son chef opérateur — qui est aussi celui de Barry Lyndon — Cooper a retrouvé des objectifs de l’époque ainsi qu’une pellicule proche de celle utilisée par les caméramen en 1944, pour effacer les différences de nature entre les deux matériaux utilisés.

Mais, de l’exploit technique au pur dispositif cinématographique, il n’y a qu’un pas que franchit à plus d’une reprise Overlord. Les stratégies employées par Cooper pour assembler archives et fiction sont finalement assez peu nombreuses, et parfois un peu lourdes. Par exemple, représenter le rêve du soldat lorsqu’il s’endort dans le train avec des images réelles de la guerre ; où marier plans aériens sur les ruines contemporaines et vues prises depuis les avions des bombes larguées pour les détruire. C’est finalement quand les deux prennent leur autonomie que le film est le plus convaincant : superbe travail de montage pour montrer des bâtiments détruits par les flammes et les efforts, vains, des habitants pour tenter d’éteindre l’incendie ; ou encore ces deux moments bouleversants, celui où le soldat s’isole pour écrire une lettre tandis que la caméra dézoome à travers les arbres, et la séquence, magnifique, où il revit — à moins qu’il ne l’imagine — le moment d’amour passé avec une infirmière.

Le plus intéressant avec Overlord reste sa drôle de postérité, surtout pour un film demeuré inédit presque partout dans le monde depuis sa réalisation en 1975. Cooper a ainsi été invité à montrer son œuvre au maître Kubrick, qui l’a aimée («il lui manque juste 90 minutes» déclara-t-il) mais qui a surtout gardé dans un coin de sa tête les séquences où le jeune homme est transformé en soldat par un instructeur sévère — le premier plan de Full metal jacket, où le sergent marche au milieu des deux rangées de soldats droits comme des piquets dans le dortoir, est quasi similaire à celui tourné, douze ans avant, par Cooper. Sans parler de Spielberg, puisque le Soldat Ryan commence quasiment là où Overlord s’arrête, avec cette image, indélébile, du soldat qui lève la tête pour regarder hors du bateau et reçoit une balle fatale en plein crâne.

Évidemment, Overlord n’est pas le genre de films à se taper sur les cuisses. Pourtant, au cours de ce festival Lumière, les comédies ont été légions, et on ne parle pas de Banzaï — quoique, bon, soyons honnêtes, la scène du chameau et du Coca-cola au téléphone, c’est quand même assez fendard. Hier, c’était Le Bourreau et El Extraño Viaje ; aujourd’hui, ce fut Trains étroitement surveillés, premier film tourné par Jiri Menzel, qui restera comme un des excellents moments de ce festival. Car, à l’image de la plupart des films de la Nouvelle Vague tchèque — de Forman à Passer en passant par Chytilova — y règnent une liberté et une fantaisie qui contrastent avec la noire réalité du pays à cette période — emprise de la censure soviétique, répression du Printemps de Prague… Ce sont des films tournés par des cinéastes jeunes qui mettent leur énergie juvénile au service d’une manière de faire du cinéma allègre et décomplexée, préférant rire que pleurer — même si en général, et Trains étroitement surveillés n’échappe pas à la règle, une note pessimiste finit toujours par en former la conclusion. Jeune, le héros de Trains étroitement surveillés l’est à tous les niveaux : par son âge, mais aussi par son manque d’expérience, que ce soit dans ses nouvelles fonctions de stagiaire dans une petite gare au moment de l’occupation de la Tchécoslovaquie par les armées nazi, ou avec les femmes, en particulier sa copine avec qui il échange tout au plus quelques chastes baisers.

Menzel déploie son film sur deux plans adroitement intriqués : d’un côté, la peinture quotidienne d’un microcosme débordé par le vent de l’histoire ; de l’autre, le récit d’apprentissage sentimental mais surtout érotique de son héros. Car Trains étroitement surveillés ne parle que de ça, même s’il en montre assez peu — mais déjà beaucoup vue la pudeur en vigueur dans les années 60. Tandis que le chef de gare remâche sa frustration, son second, lui, tombe tout ce qui bouge, surtout les jeunes sténographes qui défilent dans son bureau ; un oncle photographe se plaît à photographier de jolies demoiselles derrière un faux avion, et les tripote autant que faire se peut pour qu’elles adoptent la pose qui convient ; quant à Milos, sa première nuit d’amour s’avère un désastre, et un médecin — Menzel lui-même — lui diagnostique un problème «d’éjaculatio précox», et comme remède d’aller coucher avec une femme mûre et expérimentée.

La forme du film est celle, canonique, d’un certain cinéma moderne définit par Kurosawa dans Dodeskaden, où c’est la scène qui compte par-dessus tout, plutôt que la dextérité à les faire se fondre les unes dans les autres, avançant selon une logique post-it où les enjeux se développent presque indépendamment les uns des autres, avant que dans le dernier acte tout finisse par se recouper et sceller le destin de l’ensemble des personnages. Mais à ce jeu, Menzel est très fort : car il sait effectivement écrire et réaliser des séquences tout à fait formidables, en particulier celle où le sous-chef se livre à un jeu érotique à base de tampons encreurs, ou encore celle où Milos va voir la femme du chef de gare pour lui demander de l’initier au sexe. Or, celle-ci l’accueille alors qu’elle est en train de gaver une oie en lui massant le cou, ce qui donne lieu à la masturbation symbolique la plus hilarante de l’histoire du cinéma. Sans oublier son sens du running gag — le chef qui nourrit ses pigeons, le vieil aiguilleur qui s’enthousiasme systématiquement lorsque la pendule sonne — et sa vision acide d’un collabo nazi ridicule à force de vanter à toit bout de champ la grandeur du Reich. Tout cela donne un film enthousiasmant, brillant et intemporel, qui ressortira dans les salles en novembre prochain.

Signalons que le film a été présenté par les distributeurs du film, Malavida. C’est une belle occasion pour saluer leur travail, exceptionnel : depuis une dizaine d’années, ils œuvrent sans relâche à faire découvrir en DVD les trésors du cinéma de l’est, et en particulier le cinéma tchèque : les premiers Forman, mais aussi des œuvres clés comme Marketa Lazarova, Valérie ou la semaine des merveilles ou encore, tout récemment, le génial L’Incinérateur de cadavres… Grâce à eux, une partie du grand cinéma polonais classique — Wajda, Zulawski, Munk, Haas — a refait surface, et ils travaillent à la redécouverte d’un cinéaste suédois méconnu mais essentiel, Bo Widerberg. Leur catalogue est un véritable coffre aux trésors — n’hésitez pas à aller y jeter un œil, une fois le festival terminé !

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