Festival du film court de Villeurbanne : nos coups de coeur de la compétition (2)

"Ocze Masz" de Kacper Lisowski. "Poisson" d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux. "Tant qu’il nous reste des fusils à pompe" de Caroline Poggi et Jonathan Vinel. "Café de la plage" de Xavier Champagnac, Prune Saunier et Gilles Gaston-Dreyfus.

Une des déceptions de cette compétition 2014, c’est la faiblesse des courts européens présentés, largement distancés par les films français, mais surtout francophones — comme on l’expliquera dans notre billet de demain. Un exemple : Safari de l’Espagnol Gerardo Herrero, qui sombre dans le mauvais goût le plus total en créant un suspens malsain et clipesque autour d’une tuerie façon Columbine. D’ordinaire, le court espagnol sait être mordant et caustique, mais dans ce cas, il n’est qu’un vain exercice de style d’un petit malin cherchant à choquer pour choquer.

Il faut toujours une exception pour confirmer la règle : ce sera donc le Polonais Ocze Masz (qu’on peut traduire par La Fête des pères) qui, sans être aucunement révolutionnaire, tient plutôt correctement son programme doux-amer. Un chanteur punk vieillissant passe la nuit avec une groupie levée à la fin d’un concert et se réveille le matin avec la gueule de bois, la demoiselle dans le coma et son fiston sur les bras. C’est beaucoup pour un seul homme, surtout quand il a fait de l’absence de responsabilités une véritable éthique de vie. Il tente d’abord de refourguer le gamin à son paternel biologique, mais il se retrouve face à un petit-bourgeois qui n’a pas franchement envie de se retrouver avec cette charge-là. Quant au gamin, il n’a qu’une seule envie : retourner au chevet de sa mère à l’hôpital.

Kacper Lisowski raconte son histoire façon réalisme dardennien, c’est-à-dire avec ce qu’il faut de vitesse, de caméra à l’épaule et de décors urbains en friche. Il n’a cependant pas encore la dextérité des deux frères belges pour faire passer en douceur les ficelles de son scénario — le punk n’a jamais réglé ses comptes avec son propre père, source de sa rage et de son hostilité envers le monde, et il trouve ici l’opportunité de ne pas reproduire le schéma familial. Mais Ocze Masz sait mettre à profit l’énergie rock de son héros, bourru et cradingue, pour  mieux la renverser comme un gant et en faire un nounours maladroit et attachant.

Dans une compétition où l’on ne se tape pas trop sur les cuisses, Café de la plage est une respiration appréciable. C’est d’ailleurs ainsi qu’il a été conçu : comme une récréation au milieu d’un tournage plus gros — le long-métrage Parenthèse. Dix minutes, trois acteurs, un seul plan fixe, pas mal de bruitages off et basta. Loin d’être un truc de branleurs ou une simple blague vite emballée, Café de la plage s’amuse plutôt à revenir à une certaine essence de la comédie, où tout est affaire de timing, où le moindre objet peut devenir un instrument propice au slapstick (déplier Le Canard Enchaîné en bord d’océan devient une lutte burlesque contre le vent) et où les banalités échangées entre un homme et une femme pour se témoigner leur amour résonnent  avec les silences qui les entrecoupent, et qui racontent exactement le contraire

Les deux solistes ne sont pas des inconnus : elle, c’est Dinara Droukarova, actrice russe révélée toute jeune par Vitali Kanevsky, revue chez Ormibaev ou, récemment, en infirmière maladroite dans le Amour palmé d’Haneke ; lui, c’est Gilles Gaston-Dreyfus, vieux compère d’Edouard Baer au sein du Centre de visionnage et de ses films pour le grand écran — Jean-Bernard Ollivier, l’inoubliable narrateur d’Akoibon, c’était lui ! Difficile d’imaginer couple aussi dépareillé — la belle slave et le petit chauve à lunette — ce qui produit instantanément du comique à l’écran. Tout comme ce type qui n’en finit plus de piocher dans ses fruits de mer à l’arrière-plan, conscience inconséquente de cette tragi-comédie du pas grand chose — ce qui n’est pas rien.

Auréolé d’un ours d’or à la dernière Berlinale, Tant qu’il nous reste des fusils à pompe faisait partie des films très attendus de la compétition. Il rejoint aisément les œuvres les plus ambitieuses du festival, même s’il nous laisse un peu sur notre faim aussi. Ses deux réalisateurs, Caroline Poggi et Jonathan Vinel, parviennent à créer un univers extrêmement singulier, investissant une bourgade pavillonnaire désertique et écrasée par le soleil estival, avec ses rues bien droites, ses maisons bien propres et ses pelouses bien tondues. Ils y introduisent des fantômes très humains et des humains complètement fantomatiques, dont une sorte de groupuscule fascistoïde dont l’idéologie reste totalement nébuleuse, à part leur culte de la force et des fusils à pompe. La voix-off de Joshua présente le cadre de l’histoire : son meilleur ami s’est suicidé d’un coup de fusil à pompe dans la bouche, son souvenir le hante, et il s’apprête à lui emboîter le pas, mais pas avant de s’être assuré que son frère a trouvé une «famille» pour le recueillir. Cette famille, ce sera le gang des icebergs, dont on ne sait s’ils tirent leurs noms de leurs méthodes particulièrement glaciales ou si leurs patrouilles et leurs looks quasi-militaires ne sont que la face émergée d’un dessein beaucoup plus vaste et fatalement clandestin.

Tant qu’il nous reste des fusils à pompe se tient dans cette zone incertaine, refusant toute explication — psychologique, politique, sociologique — pour se contenter d’enregistrer des comportements et des décisions aux finalités obscures. La voix-off de Joshua possède ce ton désabusé, apathique, qui contraste avec la violence de ce qu’il raconte : le suicide d’un ami, son suicide annoncé. Poggi et Vinel décrivent un monde inquiétant, mais sans pointer la source de cette inquiétude, préférant en faire le carburant de leur mise en scène. Plans au cordeau, surimpressions, bascule entre le fantasme, traité avec naturel, et la réalité, presque abstraite, mélange entre musique classique et dubstep — cela fait du bien d’entendre du Salem en Dolby dans un film. Aussi brillant soit-il, le film a un côté Bruno Dumont en villégiature rock’n’roll, c’est-à-dire toujours à la limite de la pose arty et auteuriste. Mais Poggi et Vinel sont de toute évidence des cinéastes à suivre.

Pour terminer cette deuxième livraison de coups de cœur, parlons d’un des meilleurs films de la compétition 2014 : Poisson d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux. Celui-ci a remporté le Grand Prix de Villeurbanne avec Le Rescapé, et il donne ici un beau prolongement à son cinéma, où le réel est lentement contaminé par une étrangeté proche du fantastique. Rien que de plus banal au départ que cette femme qui part en randonnée dans une forêt montagneuse avec ses deux enfants. Même la raison de cette traversée — le deuil de son mari — pourrait ramener Poisson vers les eaux du naturalisme français que pourtant il évite en permanence. D’abord par cette rencontre imprévue avec un couple qui fait l’amour en pleine nature, vision sexuelle sur laquelle le personnage comme le cinéaste s’attardent plutôt que de la fuir. Puis par ce dialogue qui s’engage avec un homme croisé en chemin — le toujours très bon Samir Guesmi — badinage léger autour de sujets graves qui esquisse peut-être le début d’une relation. Ou encore cette longue séquence où l’on découpe un cochon dans une grange ; ce pourrait être une vision d’horreur, mais c’est au contraire une douceur tranquille qui émane de ces visages, de ces corps et de ces mains trempant dans la viande et le sang.

Tout le film se nourrit de ces contre-pieds bienvenus, maintenant de l’incertitude quant à la réelle nature des événements et des sentiments éprouvés. Pas de pathos mélodramatique à l’arrivée, mais un miracle, une épiphanie. On ne la révèlera pas, et elle suscitera sans doute beaucoup d’interrogations chez le spectateur. Mais, comme on l’a dit dans notre précédent billet, notre préférence va à ces films qui osent brusquer les conventions, dépasser leur maîtrise pour s’aventurer vers des rives plus troubles et moins faciles à étiqueter. Sur ce terrain, Poisson est une réussite totale, choisissant dans sa dernière scène faire tomber sur son récit un phénomène inexpliqué — on pense à certains tours de magie du sorcier Shyamalan — qui l’ouvre au lieu de le fermer, laissant le spectateur libre d’y habiter encore un peu passé le générique de fin.

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