Cannes 2015, jour 7. Exercices de style

"Sicario" de Denis Villeneuve. "Cemetery of Splendour" d’Apichatpong Weerasethakul. "Le Tout nouveau testament" de Jaco Van Dormael.

Après la parenthèse enchantée de Vice Versa offerte (à vie) par les studios Pixar, retour à la dure réalité cannoise avec des films qu’on qualifiera gentiment d’inaboutis, pour des raisons somme toute très diverses.

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Prenons Sicario de Denis Villeneuve… Tout laissait à penser que le cinéaste québécois allait donner à ce polar sur fond de lutte contre les narcotrafiquants mexicains la même classe que celle insufflée à son superbe Prisoners. Le film démarre d’ailleurs très bien avec un assaut mené contre un repère de gangsters soupçonnés de détenir des otages. À la place, et après avoir soigneusement dégommé les habitants peu fréquentables du lieu, les agents découvrent un véritable charnier de cadavres étouffés dans des sacs plastiques puis dissimulés dans les murs de la maison.

Vision d’horreur puissante qui permet aussi de mettre en avant la protagoniste du film : Kate (Emily Blunt), jeune recrue idéaliste du FBI, vite débauchée par un groupe d’intervention d’élite emmené par un type aussi débonnaire qu’inflexible (Josh Brolin) associé à un tueur mexicain repenti (Benicio Del Toro). Leur première intervention à Juarez permet à Villeneuve de s’offrir un morceau de bravoure filmique assez dantesque, et on se prend à rêver que Sicario suive cette voie pour s’affirmer comme un thriller racé et personnel.

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Mais c’est justement par un excès coupable de style que le film s’enraye. À force de chercher à sidérer à tous les plans, Villeneuve finit par se regarder filmer, à moins qu’il ne se contente de s’extasier devant la photo il est vraie magnifique du prodige Roger Deakins — chef op’ des frères Coen, au passage. Touché par le syndrome Sam Mendes, il oublie l’efficacité élémentaire de son récit, se perdant dans un puzzle fait de trahisons et de double jeu, prenant très au sérieux sa série B en tentant de la hisser au niveau d’un objet arty et chic.

Villeneuve fait alors du Friedkin au petit pied, reprenant en version solaire et poussiéreuse l’idée développée dans Prisoners d’un mal qui se propage comme une traînée de poudre dans un environnement de déréliction morale. La marque d’un auteur ? Bof, car à vouloir jouer sur les deux tableaux (celui de l’entertainment hollywoodien et celui du cinéma à prétention festivalière), Villeneuve ne gagne sur aucun d’entre eux ; son film est à la fois creux et ennuyeux, artificiel et vain.

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