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Martin Scorsese : « je vis toujours avec Silence »

Silence
De Martin Scorsese (ÉU, 2h41) avec Andrew Garfield, Adam Driver...

C'est à moi que tu parles ? / Lors de son bref passage en France, Martin Scorsese a brisé le silence pour évoquer celui qui donne le titre à son nouveau film. Morceaux choisis et propos rapportés de sa conférence de presse.

Votre titre est accompagné au générique de début par un réel silence. Doit-il s’entendre comme un constat ou une injonction ?
Martin Scorsese : C’est une façon d’attirer l’attention du spectateur, mais aussi une forme de méditation intime, car ce film exige une concentration du public. Nous venons tous du silence et nous allons tous y retourner ; alors autant s’y habituer et s’y sentir bien.

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Qu’est-ce qui vous a autant attiré dans le livre de Shūsaku Endō ?
J’ai été attiré — obsédé, devrais-je dire — par l’histoire qu’il raconte. Pour moi, il parle d’une manière extraordinaire de la façon d’accepter la spiritualité qui est en nous. Sa résonance est toute particulière de nos jours, alors que le monde rencontre de grands changements technologiques et que des faits horribles se déroulent. J’espère que cette histoire — donc le film — pourra ouvrir un dialogue en montrant que la spiritualité existe, puisque qu’elle est une part intégrante de notre humanité profonde.

Vous avez porté ce projet plusieurs décennies. Que ressentez-vous à présent qu’il est achevé ?
Cela a duré longtemps, en effet, mais pendant les quinze premières années, j’ignorais comment transposer réellement le livre au cinéma. Ensuite, il y a eu des problèmes monumentaux, légaux et financiers. Sans compter que la communauté hollywoodienne me décourageait sans arrêt… Aujourd’hui, dans ma tête, je suis encore en train de le tourner. Pour moi, il n’est pas vraiment fini — il l’est bien, mais je le poursuis dans ma tête. Parce que je crois qu’il ne ressemble à aucun autre de mes films et qu’il m’appartient vraiment. En fait, je vis toujours avec Silence.

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Il s’agit de votre film le plus dépouillé, mais aussi le plus en communion avec les éléments. Vous vous êtes doublement “dépaysé”…
L’histoire se prêtait à ce minimalisme, à cette mise à nu. Plus les années passaient, plus je visualisais le film en travaillant au scénario. Ça m’a permis d’opérer un processus de simplification, car je voulais absolument toucher à l’essence des choses au travers de ce film — de la mise en images au montage : je n’avais plus à prouver que je savais manier une caméra, ni à faire des effets. Quant au fait de tourner en extérieur, d’être entouré par toute cette nature… Cela m’a transformé.

Moi qui suis un New-Yorkais allergique à tout, ayant grandi dans des couloirs sombres en regardant la vie derrière une fenêtre comme dans Fenêtre sur cour, me retrouver au sommet de cette montagne, c’était presque vivre une expérience mystique !

En plus nous tournions dans des lieux extrêmement difficiles d’accès. Parfois, je trouvais ça éprouvant, mais je ne me plaignais pas parce j’étais exactement là où je voulais être.

Silence a-t-il eu des résonances sur votre vie intérieure ?
De tous ceux que j’ai réalisés, ce film est celui qui a eu le plus de connexions avec ce que je vivais. J’ai dû faire des choix, réévaluer des choses pour finalement comprendre ce que c’était qu’“accepter”, au sens philosophique du terme, la vie que les objets ou les êtres pouvaient changer. Mais aussi que parfois il fallait, dans la mesure du possible, repenser ses valeurs afin d’être présent pour les autres. C’est pour cela que ce film m’habite encore.

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Au générique de fin, vous faites entendre des sons naturels, des bruits d’oiseau. Est-ce une manière de dire qu’en définitive, le silence n’existe pas sur Terre ?
Sans vouloir faire de jeu de mots, les sons que vous entendez sont du silence, et ce silence me parle, justement ! Durant le tournage dans les grottes, j’ai entendu un son très fort : c’est la marée montante ; je n’avais jamais entendu ça à New York. Ça m’a rappelé une pièce de Tennessee Williams, Boom ! dans laquelle il dit que le son des vagues est celui de votre propre cœur. J’ai compris alors ce que cette phrase voulait dire. Pendant qu’on tournait, les oiseaux commentaient nos actions par leur harmonie subconsciente. Pour moi, les sons de la nature font partie du réconfort du silence.

Critique : Du doute, pour une foi

En relatant le chemin de croix de jésuites du XVIIe siècle éprouvant leur foi en évangélisant un Japon rétif à ces conversions, Scorsese le contemplatif explore ici sa face mystique — ce nécessaire ubac permettant à son œuvre d’atteindre des sommets.

Loin d’être monochromatique, la filmographie de Scorsese reflète depuis toujours une admiration conjointe pour deux mondes ritualisés : le temporel des truands et le spirituel des religieux. S’il n’y a guère de malfrats dans Silence, on y découvre quelques châtiments pratiqués par les autorités nippones sur les chrétiens refusant d’apostasier que des mafieux trouveraient à leur goût !

La violence des confrontations entre ces deux univers autour de la notion de foi ne pouvait que fasciner le réalisateur de Taxi Driver et de Casino. Pour autant, Silence ne s’inscrit pas dans la veine stylistique des Infiltrés ni des Affranchis : la question intérieure et méditative prime sur la frénésie exaltée. Lent, posé, d’inspiration asiatique dans sa facture, il se rapproche du semi ésotérique Kundun (1997).

Chacun sa croix

Débutant par la recherche d’un missionnaire porté disparu, Silence se poursuit par une succession d’introspections pour le père Rodrigues parti sur ses traces, telles que : feindre une abjuration ou fouler aux pieds des icônes dans le but de poursuivre sa mission d’évangélisation n’est-il pas plus “productif” que de mourir orgueilleusement en martyr — puisque la tentation se présente ?

Livrant son lot de réponses contradictoires, le film est une interrogation en mouvement, montrant la labilité extrême de l’être humain face aux grands choix, et notamment son doute chronique quant à l’existence de Dieu. Il révèle aussi son paradoxal besoin d’idolâtrer des fétiches et de s’y soumettre, quitte à y perdre la vie : les crucifix ici, comme les dollars pour Jordan Belfort.

Ce n’est certainement pas un hasard si la lente maturation du livre de Shūsaku Endō a abouti après Le Loup de Wall Street : malgré les différences radicales d’approche, Rodrigues est en apparence condamné à abandonner une “illégalité” sans issue, à l’instar de Belfort.

Silence peut dérouter le spectateur, exigeant qu’il adopte son rythme et comprenne son indécision. Mais loin d’être une œuvre prosélyte, il ne recèle ni ne proclame de vérité ; peut-être peut-il aider chacun(e) à se recentrer. Hors des chapelles.

Silence de Martin Scorsese (E-U-It-Mex-Jap, avec avertissements, 2h41) avec Andrew Garfield, Adam Driver, Liam Neeson…

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