Une lutte des classes, et ça repart

Panorama ciné mars / Oublions la triste dévotion du portrait de Mélenchon sorti en février et repartons au combat avec l’énergie primesautière de la fin de l’hiver. Au ciné, les masses populaires !

Le fond de l’air glacial bouillonne aussi de la colère désespérée des damnés de la terre n’en finissant plus de creuser, pendant que les heureux du monde touchent le septième ciel — et leurs dividendes. Cette insondable exaspération ruisselle jusque sur les écrans, dans un splendide éventail d’œuvres balayant la lutte des classes de manière frontale ou allégorique.

Usines à cauchemars

Premier long de Walid Mattar, Vent du Nord (28 mars) joue en parallèle sur deux tableaux : la délocalisation d’une usine du Nord conduisant un ouvrier licencié à tenter l’aventure entrepreneuriale (devenir patron-pêcheur) et sa relocalisation à Tunis, avec pour un jeune chômeur l’espoir d’un boulot et de se rapprocher de la femme qu’il aime. Sur un thème voisin du maladroit Prendre le large, Mattar réussit un film social double aux échos profonds et révélateurs : les prolétariats sont les mêmes du Nord au Sud, victimes du capitalisme et de l’administration ; et la jeunesse est condamnée à bouger pour s’en sortir.

Moins convaincant est le 7 Minuti (même date) de Michele Placido, inspiré de faits survenus à Yssingeaux, où un groupe de délégués du personnel doit statuer sur l’abandon de 7 minutes de pause déjeuner en échange du sauvetage de son usine. Certes, l’idée de transposer un fait social contemporain en huis clos est pertinente, et la similitude avec 12 hommes en colère intéressante. Mais du fait de sérieux problèmes d’écriture — dont des effets de suspense théâtraux destinés à retarder l’annonce de la fameuse mesure —, de quelques personnages féminins au-delà de la caricature et d’une mise en scène molle là où il aurait fallu du sec, on s’agace au lieu de compatir.

Ailleurs ? Pas mieux…

Complétant comme une parenthèse ou un zoom le We Blew it de Thoret tourné partiellement à Seligman, le documentaire America de Claus Drexel (14 mars) s’intéresse aux habitants de cette ville d’Arizona juste avant (et pendant) l’élection ayant porté Trump au pouvoir. Un an de recul permet de dépassionner le sujet, mais aussi de montrer combien la propagande conservatrice a pu fonctionner dans ce territoire précis. Tristement édifiant.

Un mot sur également pour Mala Junta de Claudia Huaiquimilla (même date) qui, semblant être un énième film chilien sur les ados à problème, se révèle témoigner du sort inique réservé aux indiens Mapuche, spoliés le gouvernement et brutalisés par la police pour qu’ils quittent leurs terres. Un peuple aussi ostracisés par le reste de la population que le sont les juifs russes dans Tesnota – Une vie à l’étroit de Kantemir Balagov (7 mars).

Du fantastique, qui ne l’est pas

Petite déception devant Les Bonnes Manières (21 mars) de Juliana Rojas & Marco Dutra, drame fantastico-lesbien mettant en scène Clara, infirmière des favellas de São Paulo, recrutée pour accompagner durant la fin de sa grossesse Ana, jeune bourgeoise, se révélant enceinte d’un loup-garou. Cet hybride de genres tire avantage de l’union des contraires dans sa première moitié, totalement dépourvue de présence masculine, montrant la naissance d’une idylle entre deux femmes que tout oppose. La seconde partie, métaphorique, est plombée par un désir de fantastique maîtrisant mal ses codes, hélas rendu (presque) possible par la technique. S’ensuit une impression de contrefaçon bancale dénaturant le sens et le propos politique. Dommage.

Que dire, enfin, de Madame Hyde (28 mars), interprété par la stakhanoviste du mois Isabelle Huppert (à l’affiche également de La Caméra de Claire et de Eva le 7) : il confirme ce que l’on en craignait venant du redoutable Serge Bozon. Pauvre transposition du roman de Stevenson, on y suit Madame Géquil, prof de physique d’un lycée de banlieue chahutée par ses élèves, se métamorphosant à la suite d’un choc électrique. La touche Bozon (séquences coupées trop tôt, jeu faux, pseudo humour sinistre, réalisation statique des “moments“ musicaux, trucages pourris, inanité générale…) atteint ici un degré supplémentaire qui devrait ravir ses séides, arguant d’un raffinement intellectuel supérieur. On leur laisse bien volontiers ; il y a d’autres luttes plus classes.

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