Thierry Demaizière : « pour faire un films sur Lourdes, il faut être athée »

Lourdes
De Thierry Demaizière, Alban Teurlai (2019, Fr)

Lourdes / Avec son alter ego Alban Teurlai, Thierry Demaizière s’est intéressé à une petite communes des Hautes-Pyrénées au prestige planétaire pour les chrétiens, depuis qu’une certaine Bernadette y a vu la Vierge. Regard d’un athée sur Lourdes, et propos rapportés des Rencontres du Sud d’Avignon…

Lourdes est-il un film de commande ?
Thierry Demaizière
: Non seulement ce n’est pas un film de commande, mais on n’était jamais allés à Lourdes ni Alban, ni moi. En plus, l’un est athée et l’autre agnostique ; moi j’avais bu de l’eau bénite pour mon bac parce que mes grands-parents allaient là-bas, pour vous dire notre rapport à Lourdes… L’histoire a commencé avec une amie, Sixtine Léon-Dufour, qui est créditée au générique. Il s’est trouvé pendant une semaine que l’on n’arrivait pas à la joindre, et elle ne voulait pas nous dire où elle était, en croyant qu’on allait se moquer. Quand elle a dit qu’elle était hospitalière à Lourdes, on lui a demandé de raconter. Et on s’est dit qu’il y avait un truc génial à faire sur les pèlerins. Sur Internet, on voit qu’il y a des sujets de télévision sur le commerce de Lourdes, mais pas de documentaire sur les pèlerins au cinéma, je n’en revenais pas. Alors on est partis à Lourdes.

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Comment avez-vous sélectionné vos personnages ?
De manière assez classique pour un documentaire : on a pris des enquêtrices pour bosser parce que c’est assez compliqué de trouver les personnages : les gens s’inscrivent tard au pèlerinage, on ne sait pas qui va venir ; il y a un problème technique. Après, c’est le bonheur du documentaire : certains ont été trouvés sur place, en particulier le monsieur atteint de la maladie de Charcot qui avait un profil qu’on recherchait. Une dame du rosaire m’a conseillé d’aller voir cet homme incroyable qui aurait peut-être envie de témoigner. Et ça s’est fait comme cela. Il fallait trouver des histoires un peu universelles dépassant un peu le catholicisme : on avait quand même comme ambition de faire un film qui ne touche pas que les catholiques, même si on sait bien que c’est la plus grande part du public. On a donc fait une douzaine de pèlerinages, il y a pas mal de personnages qui ne sont pas au montage.

Vos personnages ont-il manifesté de la réticence à quelque moment du tournage ?
Non, plutôt de la confiance : c’est tellement bienveillant ce qui se passe là-bas qu’à partir du moment où on a été acceptés, c’était à nous d’être a la hauteur de cette confiance. Il y a un côté voyeur à Lourdes, évidement, alors qu’il fallait que l’image soit à la hauteur pour que la pudeur soit respectée. On ne peut pas à la fois demander aux gens de nous montrer leurs vies, leurs handicaps et en même temps les filmer comme des barbares.

Avez-vous eu une rencontre officielle avec les autorités religieuses ?
C’est obligatoire. Ils étaient méfiants, au début, pour plusieurs raisons — entre autres, parce qu’on avait fait un film sur Rocco Siffredi juste avant (rires). Après, ils ont décidé de nous faire confiance ; je dirais même un peu plus parce qu’on leur a vraiment bien expliqué la démarche. Notre caméra a d’ailleurs été la première à pouvoir filmer les piscines, on les en remercie.

Ont-ils vu le film ?
Non seulement ils ont vu, mais ils aiment beaucoup le film, ce qui est important pour nous aussi parce que c’est un public auquel on croit... Et les diocèses vont organiser beaucoup d’avant-première en France.

Vous avez évoqué le film sur Rocco Siffredi ; auparavant vous aviez fait Relève, sur la danse… Il y a, encore une fois, beaucoup de corps. Qu’est ce qui vous intéresse autant dans cette thématique pour que vous la suiviez sous des angles aussi différents ?
C’est vraiment inconscient, on s’en est rendu compte qu’après. Je ne sais pas quoi répondre à ça… On est des portraitistes, on se définit comme ça avec Alban, l’intime se lie par la parole et par le corps — et bientôt, on va faire un film sur le hip-hop, donc on continue à travailler sur le corps. D’un point de vue cinématographique, pour qu’un film documentaire ait une qualité, le corps est essentiel. Dans ce film, on a des visages : la jeune fille rousse a une gueule de cinéma, Le documentaire doit aller chercher des visages, des corps, des voix intéressantes…

Ici, avant d’ouvrir avec des corps, vous ouvrez avec un ballet de mains…
Alors, la main, c’est deux choses. D’abord, pour être honnête c’est esthétique et hypnotisant : vous vous asseyez devant la grotte quand vous n’êtes pas croyants, vous voyez des mains de gitanes, de vieux, de jeunes, les mains qui caressent la pierre qui est lustrée, qui brille — d’un point de vue cinématographique c’est très beau. D’un point de vue symbolique, avec cette main, en une image, on a du sacré. D’ailleurs, on l’a prise comme affiche : c’est un choix à la fois beau et ça dit tout.

Est-ce que votre athéisme et votre agnosticisme vous ont été utiles ?
Oui, oui, je pense même que pour faire un film sur Lourdes, il faut être athée. Parce que si on suit un prisme catholique ou religieux, on peut être influencé. Les catholiques qui me parlent du film, me disent : « c’est bien que t’aies montré ça de nous car on ne le voit plus ; on voit d’autres choses que tu n’as pas vues »

Si par miracle un diffuseur vous proposait de faire à partir de Lourdes une série, comme jadis Arte l’avait fait avec Corpus Christi…
Ouais, mais non : on a bien exploité le sujet. Je suis ravi d’avoir fait ce film, mais c’est un film dur à faire, en fait…

Vous n’avez jamais eu de frustration par rapport à la matière que vous n’avez pas exploitée ?
Si, si bien sûr ! On a dû perdre des personnages, on les regrette encore.

Le miracle, justement, vous l’évoquez à peine : vous en parlez au début, puis plus du tout…
Il y a un clin d’œil, une apparition, un petit miracle : celui qui ne parle pas dit « je vous aime ». On savait qu’il y a trois ans, il avait parlé, il avait dit une phrase, mais plus un mot depuis trois ans — il a fait deux tentatives de suicides très, très importantes et depuis il a un problème de corde vocale. Mais pour répondre à votre question, le miracle, bizarrement, n’est pas central à Lourdes. Les catholiques vous disent « les miracles, c’est toutes les heures ; l’enfant qui sourit est le premier miracle de Lourdes » Ils n'ont pas tout ä fait tort : dans le film, celui qui n’a plus qu’a espérer un miracle c’est celui qui est atteint de la maladie de Charcot. Mais il dit qu’il n’ose pas demander… La demande des miracles à Lourdes est très compliquée : il y a tellement pire à côté de soi que devant cette foule de condamnés à mort, on n’ose plus demander pour soi.

Et vous, croyez-vous au miracle ?
C’est une bonne question. On a peut-être besoin dans la vie de “l’idée“ du miracle. Donc je crois à l’idée de miracle.

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