Samuel Tilman : « Le spectateur doit prendre position »

Une part d'ombre
De Samuel Tilman (Fr, 1h37) avec Fabrizio Rongione, Natacha Régnier...

Une part d’ombre / Invité par les Rencontres de Gérardmer à présenter le film qu’il a tourné en partie dans la région vosgienne, le réalisateur belge Samuel Tilman revient sur la genèse d’Une part d’ombre et sa complicité avec Fabrizio Rongione…

Quelle est l’origine de ce thriller ?
Samuel Tilman : Le sujet, c’est vraiment l’envie de parler du regard que l’on peut porter sur l’autre, de l’incapacité de se dévoiler totalement et donc de connaître l’autre totalement. Mais également la peur d’être jugé, comment le jugement impacte un groupe… J'avais envie aussi de mettre les personnages dans de grands paysages, qu’ils soient un peu perdus dans une forme de nature oppressante. Au départ, ils auraient dû être en vacances à la Costa Del Sol, mais il n’y avait pas l’isolement que je voulais : ça ne pouvait pas fonctionner dans un club de vacances ou un camping. Comme je suis un grand fan de montagne — mon père m’emmenait en montagne faire des randos quand j’avais 7, 8 ans, faire des randos et j’avais vécu une expérience extraordinaire sur un court métrage précédent —, les Vosges se sont imposées. Et j’ai découvert qu’il y a de la forêt et que c’est très sauvage.

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En plus de la montagne, un autre élément ajoute une inquiétude diffuse au film : c’est l’ambiguïté que peut dégager Fabrizio Rongione, l’interprète de David…
Fabrizio et moi avons déjà mené 5 ou 6 projets ensemble : j’ai écrit des stand-up avec lui, il a joué dans mon premier court métrage… J’avais cette impression qu’il dégageait à la fois quelque chose de sympa, de simple, et en même temps, une grande ambiguïté. Le travail qu’on a dû faire avec lui c’était de l’amener à être le moins possible conscient de ses intentions et qu’il joue moins : plus il essayait de jouer la culpabilité, moins il était bon parce que ça ramenait des couches en trop. Après, bien évidemment, il y a du travail de montage : choisir les bonnes prises…

Pourquoi avoir choisi le milieu des profs ?
J’avais envie d’un milieu qui incarne la tolérance et l’utilité sociale, plutôt que des milieux politiques, de la finance, qui sont des milieux de tension, de pouvoir, d’enjeux, où la tension aurait été trop simple : on se serait dit : « voilà, il règle des comptes ». Là, on est dans un milieu plutôt bourgeois et bienveillant de gens bien. Mais même là on se juge rapidement. Et je n’avais pas envie qu’il ait de l’ambiguïté avec les élèves : j’ai pensé à un moment qu’il aurait pu avoir des prémices avec un d’eux, mais j’ai évacué tout ça.

Le spectateur est toujours au même stade que l’entourage de David…
C’était le but ! Je n’ai triché que deux fois : sur des plan avec la police. J’avais envie qu’on réagisse comme eux réagissent à ce moment-là. Dans mes notes d’intention, le spectateur était l’ami en plus qui, à un moment, allait devoir prendre position.

Justement, vous avez pris le parti de ne jamais montrer les policiers : on les entend, mais on ne les voit pas…
Le but était de donner un aspect Faites entrez l’accusé à ce film d’enquête, afin que spectateur le spectateur devienne juge : en recevant les éléments d’infos un peu indirectement, j’avais vraiment envie qu’on soit dans ce type d’enquête à niveau d’hommes et pas d’enquête au niveau de la police. Quand le personnage de l’épouse est interrogée, c’est un plan-séquence mais on ne voit qu’elle : on voit comment l’enquête fragilise les protagonistes. Si j’avais pu, je n’aurais même pas laissé ces deux séquences de policiers. Je les ai laissées parce que je voulais qu’on ne soit pas dupes sur le fait qu’il y avait une enquête — étant donné que c’est un film sur le doute. Si je ne montrais pas l’enquête, le spectateur aurait pu se poser des questions. Il fallait qu’on voie les policiers, mais ils font partie du décor, de la menace ; je ne voulais pas les incarner.

Vous traitez aussi du monde carcéral de manière significative, pas comme un lieu menaçant, mais comme un lieu de chaleur, un non-lieu…
Il y a peu de séquences, mais toutes les scènes de parloir pour moi étaient essentielles parce que beaucoup de choses s'y résolvaient. J’avais besoin du monde carcéral, mais je ne l’ai jamais utilisé comme un élément dramaturgique, j’avais envie d’évacuer ça et de rester à hauteur de l’entourage, sans ramener encore de l’oppression. Ce sont des points de suspension qui relient l’épilogue et le reste du film, en fait. L’épilogue, finalement, c’est ce long procès qui est comme un accouchement : l’avocat verbalise l’ensemble des hypothèses que chacun a pu formuler pendant tout le film.

Pourquoi le film a-t-il mis un an à sortir en France ?
Il est sorti Belgique, après en Suisse et au Canada, entre temps à Taïwan et en Chine…En fait, je n’avais pas de distributeur dans la co-production initiale ; donc le film fini, j’ai mis quelques mois avant d’en trouver un. Ensuite, il a fallu trouver la bonne période pour sortir le film : on a choisi le 22 mai, qui est une période aussi un peu casse-gueule, c’est en plein pendant le festival de Cannes, mais en général il y a moins de films qui sortent à ce moment-là, donc il y a peut-être plus de salles.

C’est un film à budget moyen ?
C’est même un petit film ! Sans parler de la participation des studios, on doit être à 1, 4 million d’euros. Le film précédent que j’avais fait pour France2, en animation, doit être à 2, 5 millions — et encore il n’y avait pas beaucoup d’argent. Mais c’était aussi un choix.

Vers quoi souhaitez-vous vous diriger par la suite ?
J’aimerais bien faire de la comédie, mais c’est angoissant, parce que j’ai l’impression que dans la comédie, on n’a pas le droit à l’erreur : tout est une question de rythme. Surtout, une comédie pas drôle, c’est un film raté alors qu’un drame moyen, ça passe… Ça exige une forme de virtuosité qui est pas évidente. Mon projet le plus construit, c’est de partir en spectacle, en octobre, avec Fabrizio, sur un stand-up. Et puis j’ai deux envies très différentes : une comédie et un film plutôt médical dans le hip-hop. Étant autodidacte, j’ai un côté très musique au cinéma et un peu boulimique. Et j’aime bien marier les genres. Ici, on est entre le thriller psychologique et le film social ; et j’ai l’impression que c’est là-dedans que j’ai envie de continuer, avec d’autres genres. Même la comédie ne sera pas que de la comédie, mais plus une comédie politique. Mais je ne vais pas trop en dire parce qu’au cinéma, on ne sait jamais ce qu’il peut se passer…

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