Pierre-Emmanuel Le Goff : « notre enjeu, c'est de préserver la fenêtre pour les exploitants »

La Vingt-Cinquième Heure / Homme d’images polyvalent, Pierre-Emmanuel Le Goff a ajouté à la société de production et de distribution La Vingt-Cinquième Heure qu’il a cofondée en 2012, une plateforme vidéo dotant les cinémas d’une salle virtuelle. Sans surprise, elle cartonne en ce moment…

Votre concept est à la fois rattaché aux salles de cinéma tout en étant une plateforme de vidéos en ligne. Comment est-ce possible ?
Pierre-Emmanuel Le Goff : Je définis notre projet comme étant « le moins pire des systèmes à l’exception de tous les autres », pour reprendre le mot de Churchill à propos de la démocratie. C’est vrai qu’on n’est pas une vraie salle de cinéma au sens où l’on n’a pas de fauteuils. En revanche, le fait d’être à horaire fixe et programmé par une salle de cinéma ayant la connaissance de son public, de son terroir ; le fait d’avoir la possibilité d’échanger en direct avec le réalisateur, d’être géolocalisé avec ses spectateurs habituels, nous place au plus proche d’une expérience de cinéma de proximité en “circuit court“. La répartition des recettes fait que l’on n’est pas sur la même logique que les plateformes de VOD, bien souvent défiscalisées et basées à l’étranger.

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Justement, comment ventilez-vous les recettes sur le prix d’un billet ? La répartition entre les ayants-droits et intervenants est-elle fixe ou variable ?
Elle est fixe. La salle de cinéma virtuelle — notre e-billet — reçoit 20%, ensuite c’est 40/40 entre le distributeur et l’exploitant dans la majorité des cas. Il peut y avoir une variable sur l’exploitant quand il veut pratiquer un prix que l’on estime trop bas — comme 3, 50€ la place avec un événement, par exemple, parce qu’il y a 1€ reversé à l’intervenant. En ce cas, l’exploitant baissera un peu son pourcentage pour que le distributeur maintienne son niveau de rémunération.

Fournissez-vous ces séances événementielles “clefs en mains“ ou bien répondez-vous à des demandes particulières des salles ?
Business as usual… Ce matin, un exploitant m’a dit être intéressé par SamSam de Tanguy De Kermel, un réalisateur qui habite près de chez lui, et par la possibilité de faire une séance en sa compagnie. Ce cinéma qui, d’habitude, n’en proposait pas le matin dans sa salle en semaine, a pu ainsi en organiser en e-cinéma. Et l’on a construit ensemble la grille autour de cette séance événement avec le réalisateur. Il arrive aussi qu’on incite des salles à prendre un film en fonction de la disponibilité des intervenants. C’est comme cela que j’ai proposé Mel Gibson à Saje Distribution pour La Passion du Christ : « demandez-lui de faire une petite vidéo de présentation ! » Comme il était dans sa villa en Australie, il l’a faite. Tout le monde est disponible, en ce moment… (sourire)

Comment constituez-vous votre catalogue, qui réunit des distributeurs aussi différents que Jour2Fête, StudioCanal ou vous-même, La Vingt-Cinquième Heure ?
Tout les cas sont possibles. On a commencé par s’intéresser aux films qui étaient dans notre ADN, avec des thèmes forts et importants à envisager maintenant sur la démocratie participative, la place des femmes — comme J’veux du soleil, Libre, Papicha…. On a élargi ensuite à des films hors de notre syndicat de distributeurs parce qu’on a eu des demandes d’exploitants, notamment. Dans le cas de Samsam, la salle demandait Radioactive, le distributeur StudioCanal a dit non mais il a proposé de tester avec Samsam et de fil en aiguille, il a revu sa position sur Radioactive. Tout va très vite en ce moment…

En mêlant films inédits, films en cours d’exploitation et films ayant terminé leur période d’exclusivité, votre modèle est hybride vis-à-vis du CNC et de la chronologie des médias…
Pour le moment, on n’a pas de qualification ni fiscale ni par rapport au CNC. On pourrait être classé comme de la VOD, mais ce n’est pas ce que l’on revendique : nous, ce n’est pas à la demande mais à la diffusion du programmateur, avec un catalogue qui n’est pas infini. De plus, on partage les recettes avec les exploitants. On est plus proches des critères d’une salle de cinéma mais sans salle réelle ; de facto c’est une salle virtuelle. Pour le moment, on pourrait passer un film en exploitation en demandant une dérogation. Si jamais on est qualifié comme étant de la VOD, on fera allégeance en payant 20% de taxes. Mais notre volonté, c’est de reverser les 15% de TVA qu’on économiserait au CNC. L’enjeu, c’est de préserver la fenêtre pour les exploitants, c’est un combat de tous les jours pour que la VOD ne gagne pas davantage de terrain. Parce que des films vont au tapis en étant noyés dans une masse de films encore plus mauvais que d’habitude. En tant que distributeur, on n’a pas pas pignon sur rue et pourtant, on arrive à remplir les salles virtuelles. Certaines de nos capacités dépassent les capacités physiques des salles et accessoirement, on a calculé que sur certaines séances, il y avait 2, 5 personnes par fauteuil…

Comment vous projetez-vous au-delà du confinement ?
Notre souhait est d’aider les salles au moment de la réouverture qui se feront sur des jauges inférieures. Dans un premier temps il sera impossible de remplir les salles comme avant — l’exemple de la Corée du Sud le démontre : le démarrage est très très mou, ils font 20% de leur fréquentation par rapport à avant la fermeture. Ça permettra de rassurer le public de savoir qu’on peut voir le même film au même prix de chez soi si on est inquiet d’aller dans la salle.

Cette solution est née pour permettre à des salles qui n’ont jamais accès à des réalisateurs d’organiser des séances avec eux. Les réalisateurs aujourd’hui n’ont plus le temps de faire 100 dates. Ils ne sont pas payés pour ça et c’est rarissime que les salles puissent financer leur déplacement. Ça devenait même compliqué pour les distributeurs. Là, le réalisateur est rémunéré, ça lui prend une heure au lieu d’une journée. On casse la cloison invisible entre les salles périphériques et les publics qui sont coupés des échanges, ceux des EHPAD, les personnes handicapées, celles qui n’ont pas forcément les moyens de faire 40km deux fois par mois pour aller dans leur cinoche, qui travaillent de nuit et sont crevés la journée… C’est une offre contre l’inéquité entre les territoires.

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