“Possessor” de Brandon Cronenberg : de la mort des marionnettes

VOD / Possessor aurait pu constituer l’Easter Egg idéal du festival Hallucinations Collectives si… Mais avec des si, les cinémas seraient ouverts et on ne serait pas obligé de voir le Grand Prix de Gérardmer signé Brandon Cronenberg en direct to DVD en espérant qu’il sorte enfin sur grand écran…  

Dans un monde parallèle, une firme hi-tech vend à ses très fortunés clients ses “talents“ consistant à téléguider neurologiqument des individus afin qu’ils commettent des meurtres ciblés. Tasya Vos, l’une de ces marionnettistes du subconscient, éprouve de plus en plus de difficultés à sortir de ses missions. Et la dernière qu’elle accepte pourrait bien lui être également fatale…

En d’autres circonstances, on aurait été embarrassé d’évoquer le père à travers le fils. Mais ici tout, du thème au style organique choisis par Brandon, renvoie au cinéma de David Cronenberg et tend à démontrer par l’exemple (et l’hémoglobine) la maxime « bon sang ne saurait mentir ». Non qu’il s’agisse d’un film par procuration, plutôt de la perpétuation logique d’un esprit, de la manifestation d’un atavisme cinématographique.

Avant que le concept soit énoncé et surtout banalisé dans toutes gazettes, l’idée de l’Humain augmenté — quel que soit le moyen choisi (hybridation vidéo, amélioration psychique, branchement neuronal, mutation, duplication…) mais toujours à ses risques et périls — a toujours constitué l’essentiel du champ exploratoire de Cronenberg père. Champ que le fils laboure donc à son tour en cultivant tout autant le goût d’un gore parcimonieux, ce qui le rend d’autant plus efficace. Autre point de convergence, partagé avec des Ben Wheatley ou des Yórgos Lánthimos : la pratique d’un réalisme désaturé, aseptisé ainsi qu’une propension aux trucages optiques créés directement sur le plateau plutôt qu’à la chimie de la post-prod et du fond vert. Ici, le travail effectué avec le directeur de la photographie Karim Hussain, à base d’applications de gels colorés sur les caméras, donne des résultats à la fois plastiquement saisissants d’une immersivité stupéfiante — les irrégularités et les imperfections de la matière y sont pour beaucoup.

En corps, encore !

Possessor joue autant sur le ressenti psychologique du/de la protagoniste que sur celui du public : qui manipule qui, qui est possesseur, possédé ; par qui ou quoi est-on conditionné ; qui contrôle ou décide de nos choix ? Séduisante de prime abord, la perturbation devient insidieusement dérangeante, presque physique. Et la sensation de dissolution de l’identité de Tasya Vos à l’intérieur de celle son “hôte“ involontaire se transmet chez le spectateur l’entraînant dans le vertige d’une irrépressible chute. Possessor appartient à cette race de films trip, où le spectacle de l’histoire se double d’une expérience hypnotico-sensorielle — et se prolonge par une réflexion loin d’être anodine. Un pur candidat à la découverte dans les salles, multi récompensé à Gérardmer, mais ironiquement obligé d’investir des “corps“ plus petits pour vivre — ces carcans que sont les DVD ou la VOD en attendant, on l’espère des jours meilleurs après plus 150 jours de fermeture des cinémas.

Cette triste disette de grand écran est paradoxalement bienvenue pour jeter un œil sur le premier long-métrage de Brandon Cronenberg, le judicieusement nommé Antiviral (2012) situé également dans un présent parallèle où la population a pris l’habitude de se faire inoculer par des sociétés spécialisées (qui en sont les dépositaires exclusives) les maladies atténuées dont souffrent leurs stars favorites. Le commerce sordide de nouveaux marchands du temple — exploitant la crédulité de troupeaux pratiquant une forme de cannibalisme — qui tourne court le jour où un mystérieux virus suspecté de venir de Chine se révèle incurable… Toutes ressemblances avec des événements etc.

Possessor
Un film de Brandon Cronenberg (Can-G-B, 1h44) avec Christopher Abbott, Andrea Riseborough, Jennifer Jason Leigh…

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