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“The Nightingale“ de Jennifer Kent : il était une fois… en Tasmanie

VOD / Sur fond de rape and revenge, Jennifer Kent signe la fresque épique et historique qui manquait encore sur la “conquête“ des territoires australiens. Souvent insoutenable, ce southstern fidèle à l’esprit de son époque résonne formidablement avec les questions contemporaines.

Vous souvenez-vous de films tels que Roma, Les Frères Sisters, La Favorite ou encore First Man ? Outre le fait qu’ils semblent appartenir à un autre temps — celui où l’on pouvait aller les découvrir dans les salles de cinéma, avant leur fermeture voilà presque… six mois —, ils ont en commun d’avoir concouru pour le Lion d’Or lors de la Mostra 2018. Trois ans, et presque une éternité pour des films vus, revus parfois, récompensés souvent. Trois ans durant lesquels certaines œuvres saluées lors de cette compétitions sont, hélas, restées inédites. Telle The Nightingale. Faute de perspective claire, son distributeur français Condor a préféré le rendre disponible en VOD et en support physique. Si l’on regrette de ne pouvoir le découvrir sur un écran à la mesure du pays-continent qu’il dépeint — et digne de son ampleur héroïque — on lui sait gré de nous permette de l’apprécier.

Se déroulant dans la Tasmanie de 1825, The Nightingale suit Clare, une jeune Irlandaise partie au cœur du bush sur les traces du Lieutenant Hawkins, l’officier britannique ayant abusé d’elle après avoir tué son bébé et son époux sous ses yeux. Inexpérimentée et mue par la vengeance, Clare dispose heureusement d’une aide précieuse : un guide aborigène prénommé Billy…

Dawn, under…

Chaleur, poussière, domination, vice et perversité… Quelle que soit l’époque ou la latitude, le tableau clinique de la colonisation est partout identique — voilà pourquoi Tavernier avait pu si admirablement transposer le Texas ségrégationniste de 1275 âmes de Thompson dans l’AOF de 1938 pour Coup de torchon (1981). Contemporaine de l’intrigue des Amants du Capricorne (1949), cette Tasmanie du début XIXe siècle n’offre pas le visage redoutable d’une nature hostile si communément attaché à l’Australie ; le danger venant ici de (ou avec) la “civilisation“ boréale.

S’il n’est pas indifférent que Jennifer Kent ait réalisé ce film, sa lecture va bien au-delà d’une considération segmentaire, segmentée ou segmentante des asservissements. Car l’oppression du colon britannique s’exerce-t-elle avec la même animalité avide, conquérante et violente, sur les territoires, les Tasmaniens natifs, les Irlandais — « les Noirs de l’Europe » comme le rappelait Les Commitments (1991) —, les femmes : une loi du désir à laquelle l’objet convoité est contraint de se soumettre, sous peine d’être impitoyablement détruit.

C’est donc un excellent choix que d’avoir distribué Aisling Franciosi et Sam Claflin pour incarner le principal doublet bourreau/victime : il fallait une paire d’interprètes aussi puissants l’un que l’autre et capables de se prémunir contre les excès dramatiques de leurs personnages — heureusement que Hawkins, salaud intégral dispose de la beauté du diable et que Clare commet ce qu’il faut d’imprudences ! Leur complexe antagonisme n’a d’égal que leur paradoxale interdépendance, chacun étant à chaque instant l’inverse manifeste de l’autre : au début, c’est une femme apprêtée qu’un soudard mal fagoté convoite et brutalise ; à la fin, une Clare sale et dépenaillée dit son fait à un officier rasé de frais et bien mis. Entre ces deux moment, ils auront été soumis à l’épreuve synchrone mais parallèle d’un voyage couvrant leur mains de sang et leur front de fièvre.

À l’instar de Kelly Reichardt dans La Dernière Piste (2011) — autre grand film sur une expédition féminine dans un territoire hostile et tourné, est-ce un hasard, dans un format non panoramique — Jennifer Kent crée des espaces au-delà du visible. Non pas par la profondeur que l’enchevêtrement du bush rend très aléatoire, mais par l’évocation d’une dimension “autre”, un territoire de la lune et des ombres, un monde onirique terrifiant que l’aurore finale balaiera pour de bon. C’est en juin 2021 que débute officiellement Australia now, l’année de l’Australie en France ; pourquoi s’infliger deux mois d’attente supplémentaire quand The Nightingale est disponible ?

The Nightingale
Un film de Jennifer Kent (Aus, 2h16) avec Aisling Franciosi
, Sam Claflin, Baykali Ganambarr…
Disponible en VOD et en DVD

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