Les énigmes de Montaron

Expo / L’Institut d’art contemporain consacre une exposition monographique à Laurent Montaron, un artiste féru de philosophie et de technologies visuelles, aux œuvres pour le moins énigmatiques… Jean-Emmanuel Denave

Jeune artiste quasi inconnu, Laurent Montaron expose à l’IAC des films, des photographies, des objets, des installations visuelles et sonores… La première salle plante le décor et donne le «la» de l’exposition : une étrange enceinte polyédrique blanche est suspendue au beau milieu d’une salle aux murs recouverts d’isorel perforé (comme dans les studios d’enregistrement des années 1960-70). Elle émet des variations autour du «La» de la tonalité du téléphone, exécutées par les cordes d’un orchestre. Concrètement, cela ressemble à la musique de Ligeti utilisée par Stanley Kubrick dans 2001, Odyssée de l’espace… Musique sourde, enveloppante, hypnotique. D’emblée, Laurent Montaron laisse entrevoir quelques-unes des caractéristiques de son travail : la plongée du spectateur dans des univers sensoriels prégnants, l’exhibition du dispositif technique procurant ces sensations, l’influence du cinéma, le soin porté à ses mises en scène, le goût du mystère… Dans cette ambiance feutrée et légèrement inquiétante, on poursuit notre déambulation pour découvrir ici une grande photographie d’une main lançant des osselets (sorte de prédiction de l’avenir laissée en suspens), là une bande magnétique au mouvement répétitif (il s’agit concrètement d’un objet technique utilisé en studio d’enregistrement pour produire de l’écho). Ce ready-made s’intitule Melancholia et se veut l’allégorie d’un temps cyclique et sans fin, d’une mémoire s’inscrivant puis s’effaçant à l’instar d’un palimpseste. La voix de l’inconscient
Plus loin, une grande photographie couleur montre un homme avec un magnétophone enregistrant les sons produits par une femme endormie. Dans la même salle, le visiteur peut lancer un disque vinyle et entendre une femme parler dans son sommeil. Soit un morceau de phrase arraché à l’inconscient, et qui surgit encore une fois au sein d’un dispositif plastique (Somniloquie 2002) mêlant douceur et étrangeté, rêverie et déraillement du réel. Ça parle, ça s’entend, c’est réel, mais qui parle, d’où, de quel lieu hors de la conscience et la communication ordinaire ? Les liens entre le réel et l’imaginaire sont d’ailleurs l’un des dadas de l’artiste. Parallèlement, Montaron tente de déconstruire, de dévoiler les dispositifs (objets techniques, données scientifiques, présupposés idéologiques…) sous-jacents à notre perception de la réalité, et ce sur quoi se fondent aussi nos fictions, nos récits, nos propres mythes modernes… Au sein de l’exposition, on pourra voir trois films courts traversés d’interrogations similaires. Readings (2005) par exemple nous fait découvrir lentement et progressivement l’intérieur de l’Observatoire astronomique de Meudon, avec des sous-titres pour le moins incongrus et déconnectés de l’image : la retranscription de prédictions de diseuses de bonne aventure. Ici, la science capable de lire le passé par le biais de son observation du présent (ces étoiles qui brillent encore alors qu’elles ont depuis longtemps disparu) est confrontée à un savoir irrationnel prétendant lire l’avenir dans le microcosme d’une main et à partir du passé de l’individu…Les voies du destin
Dans un autre film, Will there be a sea battle tomorrow ?, Montaron met en scène une jeune femme qui va répondre à des tests scientifiques cherchant à déterminer si l’être humain est capable de deviner l’avenir, soit en l’occurrence de deviner une combinaison de symboles tirée au hasard par une machine… Au-delà du questionnement classique sur le hasard et le destin, on sera attentif ici à la forme même du film qui réussit une fois de plus à nous plonger dans une atmosphère lente et étrange, et établit par des effets de montage quelques paradoxes temporels. La jeune femme ouvre par exemple une porte sur une pièce où elle se découvre elle-même en train de passer des tests. Procédés simples et efficaces qui brouillent discrètement la structure normale d’un récit, jettent un trouble sur ce que croit percevoir le spectateur… De manière générale, les interrogations de Montaron ne sont pas toujours limpides ni forcément originales. Néanmoins, ses œuvres captent l’attention par leurs qualités esthétiques propres et par leur capacité à «insuffler» de l’opacité ou du trouble là où l’on attend de la transparence, à mettre le doigt sur quelques paradoxes et à dérouter nos habitudes de perception.Laurent Montaron
À l’Institut d’Art Contemporain jusqu’au 15 mars.

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