Une petite pression pour la route

Entretien / Suite aux pressions d’un groupe d’extrême droite, l’exposition du photographe Bertrand Gaudillière sur les sans-papiers à la Bibliothèque du 4e a été fermée pendant 24 heures. Explications. Propos recueillis par Dorotée Aznar

Petit Bulletin : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi votre exposition a été fermée au public ?
En juin dernier, j’ai été contacté par la bibliothèque du 4e, ils souhaitaient organiser une exposition et, en parallèle, des interventions. Mon exposition «Les Chiffres ont un visage» a été accrochée le 12 septembre. Ce n’est que treize jours plus tard que j’ai reçu un coup de téléphone de la bibliothèque m’annonçant l’annulation du vernissage et la fermeture de l’exposition jugée «trop militante». Comment avez-vous réagi ?
J’ai publié un communiqué de presse pour évoquer ma situation et il y a eu un petit emballement médiatique. Le cabinet de Gérad Collomb m’a téléphoné pour m’annoncer la réouverture de mon exposition dès le lendemain…L’exposition qui a provoqué la polémique est-elle exactement la même que celle présentée en avril dernier à la librairie le Bal des Ardents ?
Il s’agit exactement de ma même exposition ! Entre le moment où j’ai fait parvenir mon dossier à la bibliothèque, le moment où j’ai fait l’accrochage et le moment où mon exposition a été fermée, je n’ai rien changé !Finalement, le vernissage de l’exposition a bien eu lieu, vous êtes satisfait ?
Ce qui me dérange, c’est que le directeur des Bibliothèques de Lyon, Patrick Bazin, a évoqué les pressions faites sur la bibliothèque, en omettant de signaler que ces pressions étaient le fait des Jeunesses identitaires lyonnaises, un groupe d’extrême droite. Je trouve dommage qu’il n’y ait pas de ligne claire et qu’un établissement public soit aussi sensible aux pressions. Quarante excités s’agitent et on ferme une expo et, de la même manière, quelques journalistes réagissent et on la rouvre… Ce n’est pas normal.Les responsables de la bibliothèque ont suggéré que le véritable problème n’était pas l’exposition mais la table ronde prévue le 24 septembre en présence de sans-papiers…
Je n’ai jamais imposé à la bibliothèque d’organiser une table ronde avec des sans-papiers… J’ai évoqué la possibilité de contacter des sans-papiers et la bibliothèque a accepté. Il faut être sérieux ! C’est l’exposition qui dérangeait et on a cherché des éléments bidon pour la fermer.Le directeur des Bibliothèques de Lyon, avant de plaider en votre faveur, a défini votre travail comme un «acte militant». Êtes-vous opposé à cette définition ?
Mon travail n’est pas militant, mais il est politique et engagé. Mon travail est d’interroger, et pourquoi pas les lois de la République. Concrètement, j’aimerais que ceux qui voient ces images se demandent ce qu'ils auraient fait à la place de ces gens, ceux qui ont quitté leurs pays, leurs familles, leurs attaches pour pouvoir continuer à vivre.«Les Chiffres ont un visage»
Photos de Bertrand GaudillèreÀ la Bibliothèque du 4e
Jusqu'au 17 octobreCritique de l'exposition :
La face sombre de l'hexagone
Pas de papiers, pas de pitié. Dans les textes accompagnant son exposition, le photographe Bertrand Gaudillère rappelle un chiffre, 29 796 expulsions en 2008, et un sigle, OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français), qui très certainement provoquent de petites jouissances d'apothicaires humides chez certains responsables ministériels et préfectoraux. Né en 1973, Bertrand Gaudillère est l'un des membres fondateurs du «collectif ITEM» (avec M. Bonneville, F. Boutonnet, J. Brygo et R. Etienne) sis à Lyon et ayant la volonté de travailler et de débattre de l'image de façon collective. Gaudillère réalise des séries sur des sujets de société très variés, allant de manifestations aux portraits d'un SDF en passant par les tribulations érotiques de jeunes couples échangistes ! Il présente des images noir et blanc, réalisées aux côtés des collectifs de sans papiers, et du Réseau Education Sans Frontières (RESF) en particulier. On y découvre le sinistre centre de détention de Saint-Exupéry, plusieurs images d'une manifestation à Vichy en 2008 à l'occasion du sommet européen pour l'intégration, l'affreux décorum du Tribunal administratif de Lyon (aussi froid qu'une chambre mortuaire), et cette ombre ou tâche noire au milieu d'une pièce aseptisée : celle d'un homme qui se cache le visage derrière sa veste. Bertrand Gauddilère insiste plastiquement sur les tons noirs, nébuleux, avec ces visages, beaux et effrayés, qui s'en dégagent parfois. Taches noires symboliques aussi de la face sombre d'un pays égoïste et technocrate. Et puis, il y a aussi cette image : un vieux monsieur qui accueille chez lui depuis plusieurs mois «A.», sans papier. Ce vieux monsieur est juif et fut lui-même accueilli et caché pendant la Seconde Guerre mondiale... Jean-Emmanuel Denave

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