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Au nom du frère

Le Musée des Beaux-arts jette un regard croisé sur deux grands artistes du XXe Siècle, les frères Bram et Geer van Velde. À travers quelque 150 tableaux et dessins, on découvre leurs premiers tâtonnements, puis l'œuvre subtile de Geer et celle fascinante de Bram... Jean-Emmanuel Denave

En 2008, le Musée des Beaux-Arts présentait «Repartir à zéro», une exposition réunissant des artistes marqués par le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale. Nous y découvrions en particulier, bouche bée, un espace consacré à Bram van Velde avec des toiles abstraites de la fin des années 1940. Un événement dans l'événement, une salle-choc où il devenait difficile de détacher notre regard de peintures à la puissance absorbante. Regard qui allait se couler et se perdre parmi des traits sinueux et épais traçant des dédales de sensations, parmi des formes ne cessant de s'envelopper les unes dans les autres, parmi des blocs picturaux condensant une nouvelle topologie de perceptions et d'affects... Deux ans plus tard, le musée a choisi de revenir plus largement sur cet artiste en confrontant son parcours à celui de son frère cadet Geer, moins connu. Nés respectivement en 1895 et 1898 aux Pays-Bas, employés très jeunes dans une firme de décoration à La Haye, Bram et Geer van Velde ont beaucoup en commun : leur condition d'autodidactes, leurs débuts académiques en copiant des maîtres classiques, leur vif intérêt ensuite pour les grandes innovations artistiques du début du XXe siècle (l'expressionnisme, le cubisme, Picasso, Matisse...)... Ils ont aussi tous deux émigré de leurs terres natales, vécu à Paris dans le même appartement et dans une grande précarité, attentifs l'un à l'autre, et ont exposé ensemble à plusieurs reprises jusqu'en 1948. Héritages et expérimentations
Les premières salles de l'exposition retracent les débuts figuratifs et tâtonnants des deux artistes, et se succèdent comme une montée en suspense (en puissance aussi) où les deux styles se cherchent, refluent, repartent, croisent différentes influences, inventent... Le parcours est chronologique et l'on zigzague avec bonheur d'un frère à l'autre. Geer est plus sobre, aérien, cérébral, architecte, et Bram plus intuitif, viscéral, gestuel, intérieur... Mais l'exposition nuance cette dichotomie, s'essaye à quelques rapprochements formels, laisse entrevoir un Geer plus complexe, aux espaces davantage vibratiles et fébriles qu'à l'accoutumée ("Foire", vers 1930), faisant se mouvoir d'étonnantes «Danseuses» (1928-1929) aux masques primitifs sombres, ou bien encore composant violemment et directement avec ses tubes de gouache des paysages débridés et incandescents... Avant de parvenir à la maturité de son style, Bram van Velde, quant à lui, nous étonne déjà par ses interprétations de Van Gogh, Munch et Nolde lors de son séjour dans le village d'artistes de Worpswede en Allemagne au début des années 1920 ; puis par cette «fonte» progressive des figures dans ses tableaux lorsqu'il vit à Majorque de 1932 à 1936. Dans une "Nature morte", les fruits, les meubles, les rideaux et les fenêtres s'en vont ensemble se dissoudre dans le grand mouvement plastique du peintre... Et à la fin des années 1930, on ne trouvera plus dans ses toiles que des fragments de réel engloutis, concassés, compressés au sein de compositions organiques et coupées du «monde extérieur».Bram bouleversant
Au premier étage du musée, après la Seconde Guerre mondiale, chacun des frères a trouvé sa voie, son style, et leurs cheminements biographiques se sépareront bientôt complètement... Geer se révèle être un artiste subtile et attachant, qui compose de très beaux paysages post-cubistes baignés de lumières méditerranéennes, qui multiplie les transpositions géométriques à la palette claire de l'intérieur de son atelier, et se libère à la fin de sa carrière de ses constructions structurées pour laisser virevolter plans et formes. On aurait aimé pouvoir se pencher davantage sur son univers, mais (et c'est peut-être là une limite de l'exposition : les deux œuvres éveillent des sensations si différentes qu'elles risquent parfois de s'annuler) les œuvres voisines de son frère Bram nous en détournent, nous attirent irrésistiblement. Quelle force ! À couper un souffle qu'il s'agit pourtant de retenir afin de plonger dans les abysses du peintre. Tout se déroule paradoxalement en surface et dans des espaces confinés, à travers des motifs et des traits souples et fluides qui tressent des opposés : le plein et le vide, le clair et l'obscur, l'affirmation et le doute, l'équilibre et le délitement. Une dernière salle présente les œuvres ultimes du peintre qui atteint, après 1960, une sorte de climax dramatique, avec un phrasé plastique qui se simplifie encore, s'amplifie encore, se dérègle encore, pour mieux malmener et bouleverser nos sensations.Bram et Geer van Velde, deux peintres un nom
Au Musée des Beaux-Arts jusqu'au lundi 19 juillet
Parution d'un catalogue aux éditions Hazan le 15 mai.

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