«L'art, à la base, c'est exprimer des émotions»

Entretien / Victoria Noorthoorn, 40 ans, commissaire indépendante argentine invitée à concevoir la 11e Biennale d’art contemporain de Lyon. Propos recueillis par JED

Petit Bulletin : Dans vos propos sur la Biennale, vous parlez d'émotions, d'intuitions, et même de beauté, ce qui est assez inhabituel dans la sphère de l'art contemporain !
Victoria Noorthoorn : Je pense que l'art contemporain est aujourd'hui de plus en plus standardisé. Il entre dans des formules, des discours homogénéisés, des références et des raisonnements à la mode. On voit partout dans le monde des gens qui regardent et parlent des mêmes choses, qui utilisent les mêmes termes, pour créer des tendances qui se répètent et qui finissent par se vider de leur sens... J'espère que mon regard sera une sorte de provocation pour voir d'une autre façon les œuvres exposées. Œuvres qui ont besoin d'être repensées à chaque fois à partir de leurs propres entités, réalités, propositions. Il faut faire confiance aux artistes et aux œuvres, celles-ci ayant beaucoup de significations à plusieurs niveaux. On oublie beaucoup aussi qu'à la base de l'art, il y a la nécessité d'exprimer des émotions.

Pourriez-vous nous donner votre définition de l'art ?
Une définition de l'art ! (rires étranglés) Je pourrais dire que l'art est une manifestation de l'imagination de l'homme qui lui permet d'établir une distance vis-à-vis du réel, afin de pouvoir le commenter et afin d'établir une position dans le monde puissante et personnelle. On oublie parfois l'importance de l'artifice dans l'art. À son fondement, il y a cette distance grâce à laquelle l'artiste peut commenter le réel, se positionner, exprimer des alternatives à la réalité, avec une force particulière. Si l'on confond l'art et le réel, il n'y a plus aucun sens.

C'est pourtant une certaine tendance de l'art contemporain (et de la création en général), cette confusion entre art et réalité, fiction et document...
Oui, c'est vrai. Et du coup on oublie parfois la force du documentaire en soi-même. Moi, je crois beaucoup aux rôles dans une société : celui des scientifiques, celui des journalistes, celui des artistes... Chacun doit assumer son rôle avec ses propres outils.

Pourquoi avoir choisi ce titre, "Une terrible beauté est née" ?
Il est tiré d'un poème de Yeats de 1916. Ce vers évoque le terme de beauté qui est l'objet de polémiques dans l'histoire de l'art. Et il convient à notre présent sous tension, à notre vécu contemporain faisant face à une avalanche d’événements mondiaux à la fois terrifiants et difficiles à intégrer. En même temps, il existe des poches d'espoir, de fraîcheur, de nouvelles propositions. On vit aujourd'hui ces contradictions avec une particulière intensité qui n'existait pas dans le passé. Cette réalité présente nous interpelle, avec des défis immenses. Ma biennale tente de répondre à cette intensité, à ces paradoxes, à ces contradictions en présentant différents artistes qui commentent cela de manières très diverses. Et ce en laissant la porte ouverte au public et à son jugement.

Comment cette biennale s'articule-t-elle ?
En plusieurs parcours qui proposent plusieurs voies de recherche ou de réflexion. Il y a par exemple à la Sucrière un parcours initial assez dramatique et plutôt dur. Un autre est dédié à la force de l'imagination dans l'art. Un autre encore dédié à l'utopie et à la construction d'alternatives. Au Musée d'Art Contemporain, on réfléchit beaucoup sur les différents «outils» de l'art : l'espace, le temps, la ligne, tout en les mettant sous tension. L'espace peut, par exemple, être oppressant ou libérateur. La ligne quant à elle peut être regardée comme quelque chose de très plastique, ou bien comme une position dans le monde, une position idéologique de l'artiste. Sur la temporalité, c'est un appel à une expérience plus subjective du temps… À Vaulx-en-Velin, on verra des œuvres parfois très spectaculaires dans des esprits très différents. Par exemple, la reconstitution du jardin du film de Resnais, L’Année dernière à Marienbad, au beau milieu d’un environnement urbain… Dans ces parcours, on sera constamment balancé entre l'oppression et la force libératrice de l'imagination individuelle. Ces deux forces sont présentes et rythment l’ensemble de la biennale.

Le dessin est quelque chose de particulièrement important pour vous ?
Oui, beaucoup. J'ai travaillé au Drawing Center à New York pendant deux ans. C'est là que je suis entrée dans un dialogue fort avec le dessin. Le dessin est l'endroit le plus touchant pour pouvoir accéder à la pensée d'un artiste. On voit s'il a hésité ou non, si la ligne est rapide ou si la construction est lente... Le dessin parle de la façon dont on se place dans le monde. Il est aussi souvent affaire d'intimité avec le spectateur. Le dessin est très honnête et on a besoin de cette sincérité dans le monde !

«Faire bouger un peu la bête, le système...» : qu'entendez-vous par là ?
Essayer de bouleverser, de faire confiance aux artistes, de faire en sorte que les œuvres parlent par elles-mêmes, ne pas imposer des termes uniformes, jouer avec les façons dont on peut présenter l'art en faisant appel par exemple au théâtre, à la littérature, à la poésie... Ne pas s'enfermer dans un territoire fixe. Se permettre d'exposer des œuvres contradictoires !

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