Sarah Tritz, l'espace d'une expo

Sarah Tritz, en collaboration avec Maxime Thieffine, investit le Centre d'arts plastiques de Saint-Fons avec ses œuvres éclatées, hétéroclites et poignantes. Interview de l'artiste et chronique de son exposition.

Après avoir connu un aspect assez architectural (chantiers inachevés, esthétique de la ruine...), votre travail semble évoluer vers quelque chose de plus diffus, discret, fragile ?
Sarah Tritz : Je ne pense pas que ce soit plus fragile mais plus diffus et discret oui. Je tente depuis peu de prendre davantage en compte le vide et l’espace entre les choses, comme des moments de silence. Je n’imaginais pas faire un accrochage si diffus mais j’ai compris rétrospectivement que si j’avais eu besoin de ces espaces importants entre les pièces c’était parce que j’étais en pleine interrogation et prise de conscience de l’importance du montage entre les formes. J’avais en tête un montage à la Villa Borghese à Rome, avec une saturation de formes diverses : on se trouve face à une multitude d’humeurs, de sensations, de styles, d'époques et de significations, et nous sommes paradoxalement face à un équilibre incroyable, le regardeur jouit d’une expérience inédite. Les Soleils Froissés est une exposition moins baroque que mes précédents accrochages, l’ensemble est calme, moins fougueux, peut-être distendu, mais c’est une étape qui me permet de comprendre le vide et ce qu’on fait de ce vide... Chaque exposition est l’occasion d’expérimenter et de comprendre des choses, et rien n’est un principe.

Comment s'est déroulée votre collaboration avec Maxime Thieffine ?
Nous partageons le même atelier à Saint-Denis. Nos pièces en cours de réalisation passent donc leur temps à se faire face. Nous les regardons forcément souvent. Et petit à petit, il était naturel que l'on procède à des montages entre nos formes. Il arrive fréquemment que Maxime vienne déposer une image sur une de mes œuvres en cours, ou fasse un geste, déplace tel ou tel petit élément faisant partie d'une de mes pièces, ce qui m'amuse car cela modifie le regard que j'ai pu porter à la forme pendant sa réalisation et j'apprécie ces déplacements possibles. Même si je modifie parfois les interventions de Maxime, cela me permet d'avancer et d'ouvrir l'expérience. Et pour le coup, lors de cette exposition, j'ai utilisé les œuvres de Maxime comme des points d'articulation entre les œuvres et joué avec leurs distances dans l'espace. C'était très excitant d'imaginer mon travail et le sien au sein d'un même espace de "monstration" parce qu'il est évident que nous ne partons pas des mêmes préoccupations et que nos formes n'évoquent ni ne convoquent les mêmes choses, références, histoires...

Vous présentez votre exposition sous forme de parcours, avec ses seuils, ses rythmes, sa polysémie... Quelles sensations, sentiments et réflexions cherchez-vous à induire chez le "spectateur" ?
En effet, je pense beaucoup au spectateur quand je fais l’accrochage, et avant tout au rapport physique qu’il éprouvera face aux œuvres. Ce rapport physique me semble fondamental pour attirer le spectateur vers les formes et qu’il se sente impliqué dans cette expérience. Il a sa perception et je lui fais confiance. Je n’essaie pas d’induire précisément un sentiment mais probablement plusieurs que je ne saurais nommer. Je pense qu’il y a un secret entre le spectateur et l’œuvre. Ce secret doit m’échapper à un moment donné. Le spectateur comme l’œuvre sont autonomes une fois que je ne suis plus là. Je souhaite surtout offrir au spectateur la possibilité de s’impliquer dans le fait de regarder et de faire l’expérience des formes. Expérience au sens où on est face à quelques chose qu’on ne connaît pas et qu’on doit analyser par le biais de moyens à inventer. Il n’y a pas de règle du jeu, chacun inventera la sienne, si ce n’est qu’en effet j’invite le regardeur à une déambulation à travers l’espace. Il y a quelques appâts, ça et là, dans Les Soleils froissés, telle que la pièce intitulée Clémence de Maxime Thieffine qui est placée comme une cible discrète. Plusieurs points de vue apparaissent dans l’exposition au fur et à mesure qu’on avance et différentes combinaisons possibles entre les œuvres se dessinent.

Le dessin, la peinture, la sculpture sont présents mais les choses s'agencent les unes avec les autres comme une sorte de "dessin dans l'espace"...
C'est juste mais en fait vous soulevez deux choses différentes : il y a effectivement des éléments liés au dessin, au trait dans l'espace, avec Nuage rouge et la tige qui va du sol au plafond, et par ailleurs des renvois de lignes et de formes entres les œuvres, comme le fil-trait rouge qui semble se poursuivre entre L'Arbre et 28 par exemple, et au travers de l'espace, comme des rebonds, comme une continuité en tirets.

On a l'impression que vous réinterrogez et réemployez des thématiques autant modernes que "classiques" concernant la représentation, l'image... Notamment à travers des jeux d'ombres, la présence des photographies de Maxime Thieffine...
Oui absolument, ce qui m'intéresse, c'est le désir très fort quand je travaille de décloisonner les styles, de refuser une exclusivité stylistique, c'est à dire que je me ré-approprie Henry Moore autant que Donald Judd par exemple... Du moins j'essaie. Je circule à travers les oppositions idéologiques de l'histoire de l'art. Et s'il faut ou si je dois me positionner politiquement, c'est à cet endroit-là : sur la polysémie des registres de formes, sur la liberté de faire résonner en soi des formes variées offertes par l'histoire sans se cloisonner dans une seule tonalité, une seule couleur émotionnelle. J'aimerais pouvoir interpréter tous les personnages de l'histoire…

Vous parlez pour la réalisation d'une œuvre d'équation formelle à résoudre ? Pourriez-vous expliquer cette expression ? La forme n'étant jamais chez vous totalement détachée d'un certain lyrisme ou d'émotion et de poésie…
Il n’y a pas de travail s’il n’y a pas quelque chose à chercher. J’aime beaucoup ce terme «une équation à une inconnue», je n’ai jamais compris ce qu’on cherchait avec les équations et c’est exactement pareil avec le travail, on ne sait pas vraiment ce qu’on cherche avant d’avoir réalisé une pièce. Pendant le travail, il y a des phases impétueuses, pleines d’une énergie vitale et d’imagination ; et puis il y a ces autres moments où il faut s’arrêter et regarder la pièce, pour rompre l’élan émotionnel ou imaginatif, et revenir à une réalité concrète. Néanmoins, je ne réalise pas seulement des formes sous l’emprise d’une énergie débordante, certaines pièces sont aussi faites dans le doute et l’ennui. Je pose une forme dont je ne comprends pas du tout la nécessité mais je continue jusqu’à ce que je saisisse un point d’accroche. Le lyrisme ou la poésie ne s’opposent pas à une rigueur et à une objectivité minimum dans le processus de travail.

Propos recueillis par Jean-Emmanuel Denave

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