Elle est l'autre

Laurence Demaison

Galerie Domi Nostræ

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Laurence Demaison expose plusieurs séries photographiques à la galerie Domi Nostrae. Un travail passionnant et sans concession sur la (dé)construction de l'identité. Jean-Emmanuel Denave

Sous l'un de ses portraits gravés, Gérard de Nerval (1808-1855) a écrit à la main : «Je suis l'autre». Etrange formule qui résonne avec celle de Rimbaud, postérieure et plus ouverte encore avec son pronom indéfini : «Je est un autre». Dangereuse formule sans doute aussi, pour un poète qui vécut à plusieurs reprises les souffrances de la folie. Car la folie affronte, entre autre, deux sortes de drames diamétralement opposés : l'impossibilité de se réunir en une identité cohérente, corps et psyché éclatant en morceaux incohérents ; la cristallisation aliénante en l'identité étouffante d'un autre, à une image fixe et fascinante. Ce double écueil de la folie est paradoxalement l'un des ressorts de la création artistique, cherchant à (re)faire et défaire les identités.

Depuis le début des années 1990, la photographe Laurence Demaison se consacre quasi exclusivement à l'autoportrait. Un genre qui, avec elle, ne tire pas vers le sublime, mais tout au contraire vers une interrogation, angoissée et angoissante, sur l'identité. La sienne propre et, à travers elle, la nôtre. «Utiliser ma carcasse détestée comme sujet, a pu déclarer l'artiste, aurait été inconcevable si je n’avais ressenti tant de malaise de par la simple présence des modèles qui ont accompagné mes premiers pas photographiques. Dommage, parce qu’il aurait été plus facile de projeter mes désirs sur des corps que je trouvais très beaux ; tant mieux, car trop évident, trop confortable, peut-être. Entre l’horreur de ma chair et celle du regard des autres, j’ai choisi le plus gérable. Cette alternative m’a contrainte à m’aventurer dans des recherches dont la seule issue était de disparaître, tout au moins d’être autre chose, mais c’est pareil».

Fille du feu

Se métamorphoser et mourir ont pour la photographe une signification proche. La première salle de son exposition baigne dans une atmosphère particulièrement funèbre. Ce sont par exemple les deux images de la série Noires sœurs montrant deux mannequins recouverts d'un voile noir, corps statufiés et soustraits au regard, allusions aux pleurants des tombeaux médiévaux. Ou les images de Sous vide où Laurence Demaison se représente le visage recouvert de sacs plastiques : étouffants masques mortuaires qui, à travers le temps,  interrogent l'origine même des images (l'imago latine étant le moulage en cire du visage des morts) et les liens intimes de la photographie et de la mort. On découvre encore, dans le même espace, ces troublants autoportraits formés des reflets épars de la figure de l'artiste sur des traînées de mercure, matière toxique par excellence.

Entre la fixité funèbre et la défiguration plus vivifiante, le travail de Demaison trace une voie difficile, teintée d'humour discret (les titres de ses séries), consciente de l'histoire des images et de celle de son médium en particulier. Le rendu plastique des photographies, flirtant avec la peinture, est particulièrement saisissant. Rien cependant n'est ajouté après la prise de vue, l'artiste utilisant tous les ressorts techniques de la photographie (surexposition, contrastes d'ombre et de lumière, flous, longs temps de poses, etc.) ainsi que son propre corps en se livrant à de véritables performances dans son studio (elle se recouvre de peinture, se met en scène dans des situations physiques ubuesques, joue littéralement avec le feu...).

Mouvement(s)

Laurence Demaison a de nombreux prédécesseurs, des surréalistes à Cindy Sherman en passant par les autoportraits de Francis Bacon ou les distorsions d'André Kertész... On verra encore à la galerie une remarquable série de petites images intitulée Papiers, où l'artiste se met en scène, nue, dans des espaces confinés, provoquant des effets de fantastique et d'inquiétante étrangeté à travers des évocations de meurtre, de solitude, de dislocation corporelle... Laurence Demaison (se) dé-figure, défait les formes coagulées, ouvre, distord et déplace les identités.

Avec tout au long de son travail, ce double écueil évoqué par la philosophe Evelyne Grosmman (dans son livre La Défiguration) : «Le trop de forme et l'informe. D'un côté la captation pétrifiée dans l'image de soi, les formes mortes d'un narcissime pétrifié. De l'autre au contraire, la dissolution mélancolique des formes, le trou noir d'un miroir sans reflet, la fusion à un infigurable archaïque avec lequel on tente de faire corps, la haine de soi comme informe». S'affrontant à ces dangers, Laurence Demaison tente «d'inventer les figures plurielles, provisoires, d'une identité en mouvement : des identités. A la fois une et plus d'une. Ce qui signifie s'identifier non à une image mais au mouvement d'une image» (E. Grossman). L'humour, la caricature et le grotesque parfois, l'art et la littérature souvent, relèvent ce défi, difficile et périlleux, de la dés-identification. Défi à la fois existentiel et, très vite, politique, d'un espace intime (ou d'un espace groupal ou public) à recréer constamment afin qu'il ne se fige en quelque image aliénante.

Laurence Demaison
A la galerie Domi Nostrae jusqu'au 17 janvier

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