A travers les branches

Alexandre Hollan

Galerie Pome Turbil

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

La galerie Pome Turbil présente des œuvres récentes d'Alexandre Hollan. Un artiste qui, à partir de seulement quelques arbres et récipients, réinterroge notre rapport au monde. Jean-Emmanuel Denave

On regarde, mais on voit si peu. On parle, mais les mots restent à la surface des choses. On raisonne et l'on passe à côté de l'essentiel. Ils sont quelques-uns, artistes (Cézanne), poètes (Yves Bonnefoy), philosophes (Martin Heidegger) à nous indiquer que "notre réalité" cache, éloigne, distord le réel, l'être. Et que nos "outils" les plus fondamentaux (le regard, le langage, la raison) trop souvent nous aveuglent et nous fourvoient. Afin de déjouer les pièges de la représentation et de ses codes réducteurs, beaucoup d'artistes se sont tournés vers l'abstraction, notamment en France dans les années 1960.

En prenant en compte les "avancées" d'un Bram Van Velde ou d'un Mark Rothko, tenté parfois lui-même par l'abstraction, Alexandre Hollan a cependant toujours su qu'il avait besoin d'images : «Sans images, c'est trop abstrait. Ces images se forment dans la nature : arbres, fruits, chemins, maisons... Elles habitent les brumes, les collines, la lumière du soir des garrigues, et aussi les lieux fermés, l'usure, l'oubli. Elles habitent des endroits où le temps dort» écrit l'artiste. Depuis 1984, Alexandre Hollan travaille alternativement sur deux motifs : l'arbre, lors de ses séjours d'été dans les Cévennes, la nature morte (quelques pommes et récipients usés) dans son atelier parisien l'hiver. Dans cette recherche quasi obsessionnelle, il ne s'agit pas pour lui de fabriquer de "belles images" ou de donner à partager seulement une expérience esthétique, mais rien moins que de «retrouver le regard, perdu dans le monde.»

Nécessaire oubli de soi et du monde

Le "monde" d'Alexandre Hollan paraît d'abord restreint : des frondaisons traitées en variations infinies (en quelques traits articulant beaucoup de vide ou en masses denses, en couleurs ou au fusain charbonneux, avec précision ou en floutant les figures...), des séries de natures mortes à travers différents jeux de couleurs et de lumières... Mais l'expérience n'est, ici, pas seulement artistique. Elle est aussi existentielle et vitale : «C'est à la jonction du désir de voir et de la chose observée, dans cet entre-deux favorisé par un nécessaire oubli de soi et du monde, que surgit soudain un au-delà du visible. Qui n'est autre que le vivant qui respire : une sorte de pneuma passant par le corps et en qui se confondent plein et vide, dedans et dehors...» écrit Florian Rodari dans le très belle et récente monographie consacrée à Hollan.

Le "flou", l'effacement (technique utilisée par Hollan après avoir dessiné certaines œuvres), les halos de couleurs et de lumières tremblants semblent ainsi inviter le spectateur à s'égarer, à passer outre certaines frontières trop rigides entre les formes, entre les choses et lui. Frontières gardées par qui ? Par la mimesis et les lois de la perspective («La perspective trompe l’œil. Elle se construit à partir d'un point de vue fixe. Elle exerce une fascination sur le regard» écrit Hollan), par l'imagination («L'imagination est faible, paresseuse, elle cherche les formes rassurantes qui l'apaisent») ou même par la beauté («Oui, la beauté est dangereuse. Car elle se rétrécit, s'idéalise») !

Entre-deux

Certains commentateurs parlent à propos des œuvres d'Alexandre Hollan de «réalisme de l'invisible», le peintre et dessinateur cherchant à montrer, dévoiler, ce qui se cache derrière les apparences. Évitons cependant de trop interpréter son œuvre en termes de connaissances ésotériques ou de spiritualité contemplative. Elle est surtout mouvement, tension, entre-deux, rapport, relations. L'arbre est d'ailleurs par excellence entité d'échanges, lieu de passage (entre la terre et l'air, par exemple). Il est aussi constante métamorphose de soi, prolifération de formes inconnues, circulation d'énergie et de sève, élan vital...

A travers ses arbres ou ses natures mortes, Alexandre Hollan questionne rien moins que son, notre propre rapport au monde. Rapport à ce qui, tout à coup, quant on lui ôte ses rassurants "habits visuels" habituels, devient inquiétant, informe, diffus. Si l'arbre devient une sorte de "monstre" et si les compotiers débordent de leurs limites, c'est, dans le même temps, notre identité qui se met à vaciller. Ce qui inquiète les formes, ce qui fait bégayer le langage plastique, ouvre alors chez le spectateur autant d'angoisses que de possibles.

En mettant sous tension motifs et médiums (dessin, peinture), Alexandre Hollan répond pour ainsi dire à l'appel des arbres lancé dans ce très beau passage de Proust (cité dans la monographie) : «Je vis les arbres s'éloigner en agitant leurs bras désespérés, semblant me dire : "Ce que tu n'apprends pas de nous aujourd'hui, tu ne le sauras jamais. Si tu nous laisses retomber au fond de ce chemin d'où nous cherchions à nous hisser jusqu'à toi, toute une partie de toi-même que nous t'apportions tombera pour jamais au néant".»

Alexandre Hollan
A la galerie Pome Turbil jusqu'au 14 mars

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