Serge Clément : «Je trouvais dans la ville une possibilité d'absence»

Serge Clément + Chuck Samuels

Galerie Le Reverbere

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

A l'occasion de sa très belle exposition au Réverbère, le photographe canadien Serge Clément revient avec nous sur son parcours, ses partis pris esthétiques et sa passion pour la ville comme espace fantasmatique de diffraction du réel. Propos recueillis par Jean-Emmanuel Denave

Vous présentez au Réverbère une trentaine de photographies qui couvrent l'ensemble de votre parcours depuis quarante ans. Est-ce une rétrospective ? Quelle est la nature de cet ensemble ?
Serge Clément : Non, ce n'est pas une rétrospective mais une sélection d'images pour la plupart inédites, dont beaucoup étaient tombées dans l'oubli, y compris pour moi-même ! Á l'occasion de divers projets, je me suis plongé dans un corpus d'images récentes et anciennes, des années 1970 à aujourd'hui, et j'ai découvert, avec surprise, bien des correspondances et des liens entre mon travail actuel et les images de mes débuts.

Je pense par exemple à une photographie de 1976, présentée au Studiolo [annexe de la galerie du Réverbère, NdlR], montrant un vendeur ambulant de marrons à New York et, derrière lui, un mur de granit qui reflète toute une scène de rue avec des piétons, des voitures, etc.

Tout cela, c'est déjà, pour moi, une "image de Serge Clément" qui s'intéresse aux surfaces réfléchissantes, aux textures, à l'entremêlement ambigu entre le réel et son double, le réel et son reflet... Bien sûr, aujourd'hui, j'aurais certainement cadré l'image de manière différente, plus resserrée... Ca m'intéresse beaucoup de montrer ainsi des images d'époques différentes où des intentions insoupçonnées, inconscientes, qui naîtront plus tard, étaient déjà latentes.

Assez vite, votre travail va se focaliser sur les villes... Pourquoi ?
Á partir de 1975 environ, j'ai effectivement arrêté de photographier des paysages ou le monde rural du Canada pour me concentrer sur la ville. Je crois que mon intérêt pour la ville a des raisons multiples. C'est d'abord un espace photographique d'une grande richesse pour sa diversité de textures, de surfaces, de matériaux, de possibilité de réflexions...

C'est ensuite un intérêt qui remonte à mon enfance. J'habitais une petite ville de 35 000 habitants et chaque dimanche, avec ma famille, on se rendait à Montréal ; puis, adolescent, j'allais y découvrir des films. J'ai commencé la photographie vers 18 ans et, dès lors, je trouvais dans la ville une possibilité d'absence, d'anonymat, de solitude, d'isolement qui me convenait.

J'ajouterais que le fait d'être québécois et donc le fait d'être dans une sorte de "faux pays", un pays qui veut s'affirmer mais qui n'y parvient pas vraiment, influence mes interrogations photographiques sur la différence entre le vrai et le faux, le réel et son double.

Je suis un jumeau et je pense que ça a son importance : il existe quelqu'un à mes côtés qui vit un peu en symbiose avec moi mais qui pense et existe différemment. Cette gémellité a marqué mon rapport à la photographie qui se veut la moins monolithique possible, la moins documentaire possible, mais au contraire empreinte de duplicité, de doubles, de reflets...

Pouvez-vous nous en dire davantage sur ces interrogations ?
On ne sait jamais dans mes images si l'on y voit la réalité ou son reflet. Je joue sans cesse sur cette bascule où l'image virtuelle, celle du miroir, du reflet, devient, par un effet de mise au point, plus "vraie" que le "réel". J'ai débuté ces jeux optiques au milieu des années 1980 avec un projet sur l'Amérique latine intitulée Cités fragiles, où une place importante consacrée au double.

Je suis moi-même un jumeau et je pense que ça a son importance : il existe quelqu'un à mes côtés qui vit un peu en symbiose avec moi mais qui pense et existe différemment. Cette gémellité a marqué mon rapport à la photographie qui se veut la moins monolithique possible, la moins documentaire possible (je suis à l'opposé des Becher par exemple), mais au contraire empreinte de duplicité, de doubles, de reflets...

Quelles ont été vos influences ?
Elles sont nombreuses et ont beaucoup varié selon le temps... Paul Strand m'a marqué dans mes débuts à la chambre, ainsi que Robert Frank, Lee Friedlander, Josef Koudelka et ses contrastes, la force de ses images... Plus récemment, ce sont les photographes japonais qui m'ont beaucoup intéressé et, notamment, leur rapport au monde urbain.

Mais le livre de photographies qui m'a le plus profondément marqué reste paradoxalement Nothing personal de Richard Avedon [sorti en 1964, il rassemble des portraits d'anonymes, de militants, de politiciens, d'artistes..., NdlR]. Contrairement à Avedon, je fais très peu de portraits, mais le contenu social et politique du livre, ainsi que le texte de James Baldwin [figure du mouvement pour les droits civiques aux États-Unis, NdlR], m'ont incroyablement intéressé !

Parmi les images exposées au Réverbère, quelle est votre image "coup de cœur" et en même temps représentative de votre travail ?
C'est sans doute Roman, Île d'Orléans, prise au Québec en 2001. C'est une image plutôt indéfinie où l'on voit une sorte de cabane prise en plongée et, au premier plan, une forme indéterminable, onirique, floue... C'est à la fois l'image d'un fantasme et une image où le spectateur perd ses repères visuels habituels.

Serge Clément [+ Chuck Samuels]
Au Réverbère jusqu'au 31 juillet

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