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Steve McCurry : « un bon portrait doit révéler la condition des humains »

Le Monde de Steve McCurry

La Sucrière

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Photographie / L’exposition événement de ce début d’année est sans aucun doute la rétrospective du photographe à la Sucrière. L’industrieux Steve McCurry a pris le temps de répondre à nos questions entre deux avions. À bientôt 70 ans, son énergie et son engagement semblent intacts. Entretien avec un grand.

Vous êtes un grand portraitiste, vous créez une intimité tangible avec votre sujet quelle que soit sa culture, comment créez-vous cette intimité que l’on peut qualifier d’universelle ?
Steve McCurry :
La première chose que vous devez faire quand vous approchez quelqu’un est de le ou de la voir comme un être humain, pas comme un étranger ou quelqu’un de différent. Quand je fais des portraits, je suis à la recherche d’un moment spontané où la personnalité se révèle d’elle-même, ensuite j’essaie de transmettre ce que c’est que d’être cette personne. C’est une collaboration entre les sujets et moi. En prenant mon temps, en créant des liens avec eux et en les mettant à l’aise devant mon objectif, eux, en retour, commencent à me faire confiance et à créer des liens avec moi.

Un bon portrait doit révéler ou donner un aperçu de la condition d’une personne, ou de la condition des humains en général. Un bon portraitiste doit avoir de la compassion et de l’empathie pour ses sujets. Pour moi, l’objectif est de trouver une sorte d’universalité parmi des personnes qui vivent des conditions très variées. L’image doit être comprise universellement, qui que soit la personne qui la regarde et sa condition.

Le cœur de votre photographie est l’humain et son environnement, vous êtes un témoin des altérations de la nature. Quels sont les bouleversements climatiques ou écologiques qui vous ont le plus marqués et qui vous frappent aujourd’hui ?
Je suis allé à Kaboul une multitude de fois depuis quarante ans et je suis fasciné par la façon dont la ville se transforme. Il existe une crise environnementale qui devrait mobiliser le gouvernement et la communauté internationale pour protéger la population. La pollution a atteint un niveau tellement élevé que la santé des personnes qui vivent à Kaboul est menacée, on estime qu’elle tue environ 3000 Kabouliens chaque année.

J’ai également photographié les conséquences de la Guerre du Golfe au Koweït. L’armée irakienne avait mis le feu à 600 puits de pétrole quand elle est partie. Causée par la guerre, la conséquence environnementale a été dévastatrice, les animaux étaient paniqués et affamés, des soldats irakiens sont morts calcinés sur la route, c’était une vision d’enfer. Des pompiers du monde entier sont venus travailler jour et nuit, les puits ont brûlé pendant dix mois.

J’ai voyagé à la Nouvelle-Orléans pour photographier les destructions causées par l’ouragan Katrina. C’était une catastrophe nationale majeure, la situation était irréelle, les rues étaient inondées, il y avait des corps décomposés sur la route. Les gens mouraient avant même d’être soignés. Deux mille personnes ont perdu la vie, c’est encore difficile aujourd’hui de penser qu’il n’y a eu aucun plan efficace pour protéger la population.

Vous photographiez les conséquences de la guerre, de la mondialisation notamment le travail des enfants, les blessures de guerre, la misère, l’exil. Comment garder une distance entre vous et ce qui se produit sous vos yeux ?
Je travaille en pilote automatique en me fiant à mon instinct. Les émotions font surface après quand je regarde les images, particulièrement les images du travail infantile que j’ai prises en Afghanistan, en Inde ou au Pakistan. Ces enfants restent toujours avec moi. Je m’identifie à eux en me rappelant ma propre enfance quand je jouais avec des copains et que je passais un bon moment. À cet âge-là, il ne m’était jamais venu à l’esprit que dans d’autres endroits du monde, des enfants devaient travailler à plein temps pour aider leur famille. Encore plus aujourd’hui, comme j’ai une petite fille, je suis pleinement conscient que vivre dans un pays qui interdit le travail des enfants, et qui a créé des lois pour les protéger et leur donner une éducation, est un privilège.

Dans un moment comme le 11 septembre, en tant que photographe documentaire, je me dois de garder la tête froide et faire mon boulot. Ce travail est de documenter la tragédie de la meilleure façon qu’il soit. Vous vous dites qu’il ne faut pas trop réfléchir. Vous devez suivre vos intuitions et ne pas laisser vos nerfs ou vos émotions vous submerger. Nous étions tous déchirés intérieurement, mais vous devez garder le contrôle pour rester en activité. Encore aujourd’hui, le 11 septembre a été l’un des jours les plus bouleversants et troublants de ma vie. C’est encore difficile de le décrire avec des mots…

Avez-vous fait facilement la transition entre l'argentique et le numérique ? Vous avez travaillé avec la pellicule Kodachrome, un film emblématique, pendant de nombreuses années, Kodak vous a d'ailleurs donné la dernière pellicule.
J'ai eu la chance de rendre hommage à cette pellicule avec ce dernier rouleau de 36 poses. J'ai pris en photo Robert de Niro, les rues de New York, j'ai fait des portraits en Inde, notamment d'un homme incroyable, un magicien à la barbe teinte au henné. C'était une manière d'honorer cette pellicule, New York où je vis, et l'Inde, ce pays que j'ai visité presque une centaine de fois. Mais je ne suis pas nostalgique de l'argentique, je pense que la photographie a progressé grâce au digital.

Avez-vous des nouvelles de Sharbat Gula, celle que l'on a surnommé la Mona Lisa afghane après la publication de la photo en couverture de National Geographic en 1985 ?
Nous avons eu beaucoup de mal à la retrouver. La vidéo Afghan Girl Found documente cette recherche [Ndlr : visible à l'exposition mais non traduite en français]. En 2002 nous l'avons retrouvée à la frontière qui sépare le Pakistan et l'Afghanistan. Elle a eu une vie très difficile, c'est gravé sur son visage. Les hommes de sa famille, son entourage, et elle, ont accepté que je le prenne en photo. Elle a été la seule personne à faire deux fois la couverture de National Geographic. Nous l'avons aidée lorsqu'elle a été arrêtée et emprisonnée au Pakistan pour utilisation de faux papier d'identité pakistanaise. Elle a été renvoyée dans son pays contre son gré. L'éducation de ses filles était très importante pour elle, elle savait qu'en Afghanistan elles en seraient privées.

Mais aujourd'hui, je ne vais plus en Afghanistan, c'est devenu trop dangereux. Je n'ai plus de nouvelles d'elle, je sais qu'elle vit à Kaboul, le frère de son défunt mari contrôle sa vie et limite notre accès à elle et au monde extérieur. Parce qu'elle est une femme en Afghanistan, sa vie est sous contrôle, elles n'ont pas les mêmes droits que les hommes.

Le Monde de Steve McCurry
À la Sucrière jusqu'au dimanche 26 mai

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