Montluc, prison ouverte

Histoire / Dix ans que la prison Montluc est devenue un mémorial. Pour l’occasion, ce lieu témoin des horreurs du nazisme s’habille de l’imagination et du talent de jeunes artistes de l’école voisine Émile Cohl. Dialogue régénérant.

[Mise à jour : en raison de la crise sanitaire, le Mémorial de la prison de Montluc est fermé jusqu'à nouvel ordre. L'évolution de la situation est à suivre sur leur site.]

à lire aussi : Une prison pour mémoire

Les lieux de mémoire ont un sens topographique qu’il ne faut pas négliger, comme Pierre Nora l'a démontré au fil des trois tomes qu’il a pilotés et qui portent précisément ce titre de Lieux de mémoire. Un lieu, on peut y retourner. Il le faut même, pour encore et toujours s’imprégner de ce que d’autres avant nous y ont vécu, pour savoir d’où nous venons et d’où nous parlons. Probablement que nous sommes un peu de cette prison Montluc, ouverte en 1921, qui fut notamment au service de Vichy de juin 1940 à janvier 1943. Les gosses d’Izieu y ont été parqués avant d’être envoyés à Drancy puis Auschwitz. Puis ce fut une prison militaire allemande dans laquelle transitèrent près de 10 000 personnes, dont 60% furent déportés et près de 10% fusillés ou exécutés. L’histoire franco-algérienne est aussi incrustée dans ces murs. La maison d’arrêt a fermé en 2009.

Raconter en images

Y revenir, donc. Pour voir comment des étudiants de 2e et 4e année d’Émile Cohl se sont emparés du lieu… sans l’avoir vu ! Le confinement est passé par là. Et le projet aurait été plus ample sans cette mise au pas forcée. Mais au final, 200 étudiants ont été mobilisés pour présenter trois types de travaux. Dix bustes (sur 80 réalisés !) en argile représentent des internés durant l’Occupation allemande. Leurs visages anonymes ou connus accueillent le visiteur auprès de gravures à l’eau-forte. Ces griffures rendent avec précision l’histoire de cet endroit, comme si graver, accentuer les sillons d’un trait, était une façon supplémentaire d’exprimer que le souvenir de celles et ceux qui ont eu le malheur de passer par là ne se dissipera pas. Que ce soit la végétation qui surgit au dehors face aux barreaux, les fils barbelés ou les paillasses à même le sol.

Et il y a ces dix kakémonos de 3m sur 1, 5m : majestueux. Ils ont été peints à partir d’un trésor d’archives : des photos réalisées par le Service Régional de Police Judiciaire de Lyon en novembre 1944. Disposées dans les coursives, sur deux étages, posées dos à dos, ces tentures habitent l’espace avec force, jamais ne le dénaturent, y font parfois entrer la lumière ou le prolongent ; jouent de ses perspectives implacables. L’implication des étudiants et de leurs enseignants a permis de répondre pertinemment à la demande du Mémorial : faire des œuvres de « formidables vecteurs de transmission de la mémoire de ce lieu ». Et illustrer ce qu’Émile Cohl s’efforce d’appliquer : « donner du sens au savoir-faire ».

Le Mémorial invite l’école Émile Cohl
Au Mémorial National de la prison de Montluc (Lyon 3e) jusqu’au jeudi 24 décembre

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