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Figures de l'Indien

Sur la piste des Sioux

Musée des Confluences

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Histoire / Alors que le Musée des Confluences s'attache, dans son exposition Sur la Piste des Sioux, à expliquer et déconstruire les clichés autour de la représentation de l'Indien d'Amérique, retour sur la manière dont cet Indien a été traité à travers les âges, de l'arrivée des colons à aujourd'hui.  

« Quand ils sont arrivés en bateau, ils ne savaient pas qui on était. Ils ont demandé "qui êtes-vous ?" Nous avons répondu "des êtres humains". Mais ils ne connaissaient pas la notion d'être humain. » Ainsi le poète, musicien et acteur sioux John Trudell résume-t-il le premier contact, moteur du malentendu originel. Quand des hordes d'aventuriers se déversent sur les terres sauvages de l'Ouest, ils oublient de regarder les peuples qui vivent là. Et donc de les comprendre.

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Dès le XVIe siècle, c'est une vision faussée de cet « étranger familier ». Troublante même, nourrie de mythologie médiévale et de culture chrétienne, d'ignorance et de sentiment d'omniscience. D'abord on ménage une explication à la présence de ces peuples qui ont le toupet d'être déjà là sans y avoir été invités : on les tient pour une des Dix Tribus perdues d'Israël, des cousins des Mongols, ou même des descendants de Gaulois. Seul le Jésuite José de Acosta émet l'hypothèse, bien vue, d'une migration antérieure venue d'Asie.

Tout cela n'a en réalité pas beaucoup d'importance car leur réalité est soumise à l'imagination sans fin des colons, aux affabulations les plus grotesques : Colomb décrit des hommes avec une queue d'animal, Cortez, des créatures à face et oreilles de chien, Francisco Escobar a entendu parler d'êtres dormant sous l'eau et se nourrissant d'odeurs, le missionnaire Lafitau inclut dans son livre le dessin d'un homme sans tête... La réalité finit par reprendre le dessus, aucune créature fantastique ne foulant cette terre fascinante, seulement ce que Samuel de Champlain, le père du Canada, décrira comme des individus « des deux sexes, bien proportionnés de leurs corps, sans aucune difformité ». C'est un début.

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Destinée manifeste

Mais si les autochtones sont bel et bien humains, ils n'en sont pas moins relégués au rang de sauvages ou de barbares, n'étant pas chrétiens et donc guère recommandables. Pour les Européens, le fait qu'ils soient des individus « pré-sociaux » (Hobbes), nomades pour la plupart, ne « travaillent pas » et ne répondent d'aucune autorité supérieure, politique ou spirituelle, suffit à les disqualifier en tant que possibles « civilisés ». La chose est surtout bien commode pour justifier la conquête et ses exactions, comme lors de la Controverse de Valladolid.

L'existence libre des Indiens intrigue pourtant les philosophes : Thomas More loue leur système démocratique ; Lahontan, en la comparant à la vie menée par les Indiens, met en doute l'obsession de domination et d'enrichissement des Blancs ; Benjamin Franklin et Thomas Paine exaltent les valeurs indiennes... Sans grande influence. C'est qu'en réalité « le bon sauvage » n'existe pas davantage que le barbare qu'il faudrait soumettre. Il n'est qu'une déformation de plus de la réalité soumise au poids idéologique de l'époque.

Une fois encore, au XIXe siècle, l'Indien change de statut. Le noble sauvage (re)devient un sous-homme à mesure que se répandent les théories de la race et les inégalités qui vont avec (basées évidemment sur l'idée d'une suprématie blanche). L'Indien est maintenant une brute écervelée et insensible (sa résistance à la douleur serait, selon les croyances populaires auxquelles souscrit Montaigne lui-même, surnaturelle). Surtout, il est un obstacle à l'accomplissement de « La Destinée manifeste » d'origine biblique (« Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre, soumettez-la », Genèse, 1: 28) : soit l'accaparement des territoires qui reviennent de droit (divin) à l'Homme blanc, au propriétaire terrien, l'alpha et l'oméga de l'Idéal américain. Le rapport harmonieux de l'Indien à la Nature est retourné contre lui comme significatif d'une « paresse naturelle » mortifère pour son développement (et celui de l'Amérique).

L'effacement des peuples autochtones ne peut dès lors être perçu négativement. L'Indien n'est là que pour laisser la place au Blanc, le progrès en marche. Il n'est après tout qu'un étrange survivant de la préhistoire. Reste qu'il existe pour l'Indien un moyen de s'amender : devenir un Blanc. L'assimilation devient un chapitre de la Conquête. Au célèbre « un bon Indien est un Indien mort », attribué au Général Philip Sheridan, répond le « tuer l'Indien pour sauver l'Homme » des boarding schools. Au massacre gratuit de Wounded Knee en 1890 par le 7e de cavalerie, revanche officieuse de Little Big Horn, qui clôt les Guerres indiennes, répond cette institution hors-réserves chargée d'acculturer des générations entières d'Amérindiens que l'on coupera de leurs traditions à coups de conversions forcées et d'interdiction de pratiquer leur langue et leurs coutumes.

Adam Sandler en Malcolm X

Il est alors parfaitement ironique que ces traits que le Blanc a voulu faire disparaître chez l'Indien soient précisément ceux-là même qu'il a fait prospérer dans les Wild West Show et au cinéma à coups de clichés, d'approximations, de généralités et d'arrangements avec la vérité. Comme s'il s'était agi de ne préserver de l'Indien qu'un folklore qui allait modeler durablement l'image que nous nous en faisons. Et gommer sa réalité en en faisant un mythe. Jusqu'à troubler l'image qu'il se fait de lui-même : dans l'ouverture de son documentaire Hollywood et les Indiens (Reel Injun, 2009), le cinéaste cree Neil Diamond explique que lorsque des westerns étaient diffusés dans la réserve où il a grandi, tous les enfants étaient du côté des cow-boys. C'est pour comprendre cela qu'il s'est penché sur la manière dont l'image de l'Indien avait été véhiculée par Hollywood.

Une image si simplifiée qu'au départ, on ne prend même pas la peine, dans les westerns, de faire parler les Indiens dans une langue crédible – certains réalisateurs se contentant de faire passer à l'envers les dialogues en Anglais pour donner un sentiment d'étrangeté – ou que les Indiens sont rapidement joués par des Blancs : « Chuck Connors en Geronimo, c'est comme si Adam Sandler jouait Malcolm X » souligne le comédien oneida Charlie Hill, premier stand-upper natif.

C'est que les Indiens sont surtout là pour faire couleur locale. Les spécificités des tribus n'ont pas plus d'importance qu'elles n'en avaient au moment de la colonisation. De la même manière que l'idéologie du moment a conditionné les différentes conceptions de l'Indien au fil des siècles (la créature surnaturelle, le barbare, le bon sauvage, le sous-homme...), le western s'est nourri de la réalité politique américaine, comme l'explique William Bourdon dans son livre Le Western, une histoire parallèle des États-Unis : à chaque époque son western, et donc son Indien.

Être humain

Dans les années 60-70 se produit un tournant. Avec la lutte pour les Droits civiques, les Amérindiens deviennent le symbole de tous les peuples opprimés et s'engagent eux-mêmes dans la lutte. Entre novembre 1969 et juin 1971, l'American Indian Movement occupe le site de l'ancienne prison d'Alcatraz dans la baie de San Francisco pour dénoncer les conditions de vie dans les réserves. Au cinéma, dans le film éponyme, Billy Jack est un métis navajo qui botte les fesses des Blancs à coups de kung-fu et concentre la colère qui émerge dans les années 70. Comme dans la vie réelle – le siège de Wounded Knee, sur les lieux du massacre de 1890, qui oppose trois mois durant, en 1973, l'AIM et le FBI –, les Indiens commencent à rendre les coups.

Après une décennie 80 sans western, les années 90 donnent un nouveau souffle à la représentation des Indiens dans le sillage du succès de Danse avec les Loups de Kevin Costner, multi-oscarisé. Du moins, croit-on : perçu comme le premier western pro-indien de l'Histoire, il est pourtant accueilli en demi-teinte par les intéressés : « c'est un film sur nous, fait avec bienveillance, mais il ne nous décrit pas tels que nous sommes, dit le réalisateur cheyenne-arapaho Chris Eyre dans Hollywood et les Indiens, c'est l'histoire d'un Blanc, les Indiens ne servent que de décor ».

Depuis, les autochtones ont pu reprendre la main sur la manière de raconter leur histoire et leur quotidien avec l'émergence de réalisateurs comme Chris Eyre, Neil Diamond, Zacharias Kunuk, d'écrivains aussi (Sherman Alexie, David Treuer, Tommy Orange...). Recouvrant ainsi le contrôle de l'image amérindienne, déclinée sans fard et dans toutes ses aspérités : « ce n'est pas la peine de toujours montrer les peuples autochtones sous leur meilleur jour, dit Chris Eyre. On n'a pas besoin d'avoir l'air noble ou bon, on veut juste être humain ».

Un vœu pieux qui n'est pas que lyrisme et dont l'enjeu est réel pour retrouver l'estime de soi : « avec leur mentalité de prédateur, les Blancs nous ont catalogué comme Indiens, souligne John Trudell. Ils ont exercé la terreur et commis un génocide pour effacer toute trace de notre existence en tant qu'être humain. Pour ça, ils se sont servis de la guerre, des livres et du cinéma. Et aujourd'hui nous-mêmes ne nous percevons plus comme des êtres humains, nous nous revendiquons Indiens alors qu'il y a 600 ans, ce mot n'avait jamais été prononcé. Nous étions là avant que ces notions apparaissent. Nous sommes des êtres humains. » « Être humain » est justement, nous a dit Walter Littlemoon, témoin sioux invité lors de la présentation de l'exposition Sur la piste des Sioux, la signification littérale du mot « lakota », le nom de son peuple.

Sur la piste des Sioux
Au Musée des Confluences jusqu'au 28 août 2022

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