Florence Verney-Carron : "Il faut dialoguer avec les artistes"

Florence Verney-Carron / Depuis l'élection de Laurent Wauquiez à la tête de la Région en décembre dernier, le monde de la culture s'est inquiété, parfois offusqué, au minimum s'est posé des questions : d'une déclaration pour le moins malheureuse de son président sur les formations de clowns en pleine campagne, jusqu'au traitement du dossier de la Villa Gillet, c'est peu dire que la vice-présidente en charge de la Culture est attendue. Florence Verney-Carron s'exprime ici pour la première fois sur l'ensemble de ces sujets.

En janvier, après l'élection, vous demandiez du temps avant de dévoiler votre feuille de route concernant la culture. Aujourd’hui, pouvez-vous nous dire quels sont les points qui vont être privilégiés ?
C’est la première fois qu'une élection se déroulait en décembre. C’était très compliqué de nous atteler à ce budget 2016 en si peu de temps. Durant ces trois premiers mois, j’ai analysé pas mal de choses. On avait un certains nombre de principes, déjà évoqués par Laurent Wauquiez durant la campagne, notamment deux points très forts : d'abord, accompagner évidemment les créateurs culturels de premier plan. Ensuite, encourager l’émergence ; ce qui est l’essentiel pour une collectivité publique.
Ça nous a amené à tracer deux grands points de notre politique culturelle : avoir une offre de qualité partout, même dans les endroits les plus reculés du territoire et y apporter beaucoup d’attention : ce peut-être une librairie, un festival, un cinéma. Le second point, ce sera de respecter et d’encourager tous les lieux de création.
Ce qui est important pour nous, puisque nous arrivons au moment de la fusion des régions, c'est aussi de faire la convergence des politiques culturelles entre Rhône-Alpes et Auvergne. On a l’intention de marquer de façon visible l’action de la Région en matière culturelle. Je ne vais pas rentrer dans le détail, mais c’est contribuer dans le budget à préserver les aides aux réseaux régionaux les plus emblématiques, les scènes régionales, l’art contemporain, les festivals, les aides aux lieux de mémoires, aux entreprises culturelles, aux artistes. Il y a eu quelques baisses ou modifications, mais d’une façon générale on a encouragé et maintenu tout ça.

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C’est le premier budget culturel d’une Région élargie : quels ont été les arbitrages, certaines structures font-elles double emploi ?
On ne peut pas vraiment dire ça, mais on va effectivement demander des convergences, avec les FRAC par exemple. On a une réflexion sur les agences, puisqu’on en a trois. On a supprimé des dispositifs qui existaient dans une Région et ne correspondaient pas à l’autre. D’une façon générale, on a étendu beaucoup de choses : comme les appels à projets dans le spectacle vivant. On a aussi intégré dans notre réseau l’école des Beaux-Arts de Clermont, par exemple. On sait que ce budget 2016 est un budget de transition. Mais on a déjà essayé de tracer les grandes lignes culturelles auxquelles on va s’attacher. Ensuite, il y aura des manifestations plus emblématiques que l'on va suivre.

Quelles sont ces manifestations emblématiques ?
Nous sommes là depuis seulement trois mois… Mais nous avons beaucoup de réflexions en cours.

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La Villa Gillet : vous avez d’ores et déjà modifié votre fonctionnement et supprimé le budget annuel, qui était de 1, 14 millions d'euros l'an dernier, pour désormais la subventionner au projet.
Quand nous sommes arrivés, nous avions sur nos tables le rapport définitif de la Chambre Régionale des Comptes. J’ai rencontré ensuite à plusieurs reprises, comme M. Wauquiez, Guy Walter le directeur et Michel Bataillon le président pour évoquer avec eux les différents points. Ce que l’on a décidé, c’est que les Assises du Roman devaient absolument se tenir. C’est leur dixième anniversaire. C’est la raison pour laquelle on a voté, ce qui ne vous a pas échappé, une subvention de 250 000 euros. Après, j’ai analysé les comptes et demandé à M. Walter de bien vouloir redéfinir et proposer un projet pour l’ensemble de la Villa Gillet. À partir de là, nous avons pris la décision de ne plus financer le fonctionnement de la Villa, mais de financer au projet. Nous ne nous sommes pas engagés sur des sommes précises : on a une réserve pour 2016, aucun engagement pour 2017.

Le festival Mode d’Emploi en 2016 est menacé ?
C’est une question à poser à M. Walter, pas à moi. C’est à lui de conduire ce qu’il fait sur la Villa Gillet, ce n’est pas à moi de décider : on n’intervient pas dans la programmation des responsables culturels.

Vous avez dit qu’il y aurait désormais plus de contrôle.
J’ai dit que les comités de suivi se tiendraient, et que régulièrement on pourrait avoir des chiffres plus précis, rentrer dans le détail. C’est le choix de toutes les collectivités de l’État qui participent au financement de la Villa Gillet, je crois que tout le monde va se mobiliser à nouveau ou un peu plus pour suivre les projets.

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Plus de contrôle, ça implique aussi de demander des comptes sur une fréquentation, sur une programmation qui attire plus de monde ?
C’est sur tout, en vrai. C’est s’intéresser au projet à la fois sur le volet culturel, sur les enjeux financiers. Sur la façon dont il est évalué. Sur tout ça. Et véritablement, suivre de manière extrêmement précise et formelle le dossier. C’est ce que je vais faire.

Avec un regard bienveillant sur ce qui a été fait en terme d’artistique ?
Bienveillant en terme artistique, sans aucun doute. Bienveillant en terme de gestion, probablement pas…

La pérennité du poste de Guy Walter est en danger ou pas ?
Ce n’est pas un sujet pour nous. Vous l’avez vu : à aucun moment nous n’avons pris position ou demandé le départ de M. Walter, ce n’est pas arrivé ni de la part de M. Wauquiez, ni de moi, ni de personne de l’équipe de la Région. Je vous le confirme.

Au sujet de l'aide à la mobilité internationale, Nuits Sonores à Barcelone, l’art contemporain en Corée du Sud, ce sont des projets que vous ne jugez pas intéressants pour les avoir retoqués, ou vous souhaitez utiliser cette aide différemment ?
Nous n’avons pas stigmatisé. Ce sont des projets tout à fait intéressants, mais ils n’étaient pas de notre choix. On a gardé le dispositif, et à l’intérieur du dispositif on va accompagner des artistes sur des projets avec un regard qui sera différent. Je vais regarder les 102 dossiers qui sont actuellement instruits par les services, à partir de là, effectivement, je déterminerais une politique.

Au sujet du musée des Tissus, M. Wauquiez s’est engagé rapidement : vous allez continuer à être moteur pour sauver ce musée au delà de 2016 ? Est-ce qu’il y a déjà des idées en cours ?
On est partie prenante et active dans la réflexion. Un préfigurateur va être nommé et va conduire l’ensemble des projets. On ne s’interdit aucune projection originale pour l’avenir de ce musée. On va étudier tous les scénarios possibles et un choix sera fait.

Êtes-vous en convergence avec M. Collomb et M. Képénékian qui réclament un soutien accru du privé sur ce dossier ?
Effectivement. C’est vraiment très intéressant pour moi d'accéder à cette fonction durant ce moment, avec cette réflexion très importante que les acteurs culturels ont sur l’argent public, sur la façon dont il doit être utilisé, comment l’articuler avec des initiatives privées. Tout est à inventer sur le musée des Tissus.

La MC2 à Grenoble a de son côté subi une baisse de 30 000 euros de subvention ?
C’est l’un des équipements majeurs dans nos subventions, la MC2. On s’est aligné sur la baisse de la Ville. Je ne suis pas allée au conseil d’administration, mais j’ai le compte-rendu fait par nos services. Il n’y a aucune baisse de subvention faite pour mettre les équipements en péril. Il y a simplement des nécessités de gestion différente, des approches différentes et aussi une raréfaction de l’argent public qui est une donnée que les acteurs culturels ne découvrent pas. On finance du fonctionnement comme on peut, mais notre volonté est que l’argent aille à la création.

Les festivals, on leur coupe souvent les subventions parce qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses. La Région a pourtant décidé de doubler la subvention de Jazz à Vienne : quelles en sont les raisons, pourquoi ce festival-là ?
C’est un festival emblématique, qui était financé à hauteur de 75 000 euros, c’est à dire moins qu’un certain nombre de manifestations. Ce qui est très intéressant dans le festival Jazz à Vienne, c’est que la subvention finance tout ce qui est hors marché commercial, tout ce qui est gratuit. Il y a un travail fait par ce festival toute l’année, très important pour les Rhône-Alpins. Il est majeur en France et nous avions envie, tout à fait, de l’encourager. Il y a un certain nombre de manifestations sur notre territoire pour lesquelles on donnera un vrai coup de pouce. Absolument. Des manifestations qui ont une vraie qualité en terme de programmation et de reconnaissance. Vous ne me direz pas le contraire sur la qualité de ce qui se passe à Vienne : c’est une très belle manifestation, avec une capacité à se renouveler. La journée avec Ibrahim Maalouf à destination des enfants sera encore un moment très émouvant cette année.

Avez-vous déjà décidé des autres manifestations emblématiques de la Région qui vont bénéficier d’un futur coup de pouce ?
Un certain nombre ont été identifiées sur l’ensemble de cette grande région qui va d’Aurillac à la Haute-Savoie. Mais il y a encore des arbitrages à faire avec Laurent Wauquiez.

Dans quels concert va-t-on vous voir ?
À Calexico, ce soir, à l’Épicerie Moderne (l'interview a été réalisée le vendredi 22 avril). J’y ai vu les Savages récemment, c’était excellent. Je vais beaucoup au spectacle. Au moins trois fois par semaine : déjà car j’aime beaucoup ça, et il me faut aussi aller dialoguer avec les artistes.

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