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Denis Trouxe : « Lyon s'est affranchie de ses curés »

1997-2017 : 20 ans dehors ! / Denis Trouxe était adjoint à la culture et au patrimoine quand le Petit Bulletin naissait. Ensuite directeur de l’office de tourisme, il est idéalement placé pour nous raconter à quoi ressemblait cette vile durant ces vingt dernières années. De toute évidence, elle s’est réveillée.

Vous devenez en 1995 adjoint (17e du rang !) à la culture et au patrimoine, sous le mandat Barre. Quel constat faites-vous alors ?
Denis Trouxe
: L'idée m'était venue de faire un projet comme les Subsistances car je m’apercevais qu’il n’y avait pas de place pour la création. Déjà 40 ans avant je ramais dans des petits rôles aux Célestins, au TNP. Nous étions dans un désert culturel qui se perpétuait. Il fallait alors monter à Paris. Le marché était là-bas. Ici il n'y avait rien. On n'investissait pas dans l'émergence. Comme je travaillais dans la comm', je maitrisais les éléments de langage et je balançais à tout le monde « une ville n'est créative que lorsqu'elle sait produire des artistes », « montre-moi tes artistes et je te dirais qui tu es ». Ne pas confondre créativité de la ville et importation de la culture. Il y avait beaucoup de tournées mais rien pour l'artiste du coin. Je cherchais une friche et l'État s'en débarrassait pour un franc symbolique !

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Ce projet a été mal reçu à l'époque...
Nous voulions mutualiser des salles de répétitions, atelier d'artistes, stocks de décors. Or ce lieu était convoité par tous les promoteurs. Ca aurait dû devenir un hôtel ou de l'habitat et personne ne s’en serait offusqué à l'époque. C'était pas dans les mœurs. Beaucoup de choses à Lyon ont été construites sur des trouvailles archéologiques, ce qui ralentissait tout. Un bon copain m'avait dit de ne surtout jamais creuser le sol si on se lançait dans ce projet car on savait que se trouvait là un village de potiers et qu'il y avait plein de fours de potiers.

La Ville ne m'a pas suivi au départ mais je ne jette pas la pierre. En pleine réunion d'adjoints, je présente les études faites par Philippe Foulquier, directeur d'études de la Belle de Mai de Marseille mais un de mes collègues dit à Barre « méfiez-vous, ça va être Woodstock avec chichon et subversions ». J'étais désespéré, le projet n'allait pas se faire et je me dis que cette ville ne s'en sortira jamais, qu’elle en restera toujours avec ses institutions pour les bourgeois. Et là, Barre m'assassine. Il avait un discours impeccable. Je suis éreinté et sorti du jeu. Mais le soir même son directeur de cabinet me donne rendez-vous le lendemain à 9h. On y va sans conseiller. Il voulait se faire une idée. Et me dit qu'il était d'accord, qu’il n’est pas aussi ringard que le disait Lyon Capitale.

Le jour de l'ouverture des Subsistances, en 2001, j'ai dédié mon discours à Planchon. Le peintre Max Schoendorff disait que le lyonnais était "a-snob", qu’il n'éprouvera jamais de snobisme en invitant un artiste à sa table et c'était très vrai. On invitait un banquier, mais pas un artiste.

Aujourd'hui Lyon a toujours du mal à faire place à l'émergence, il y a peu de salles de taille intermédiaire et les directeurs sont là depuis très longtemps. Est-ce que ça vous pose problème ?
Je me suis brûlé les ailes là-dessus. J'ai pas voulu renouveler le contrat de Jean-Paul Lucet aux Célestins. Et j'en porte encore les conséquences. J'avais Barre contre moi. Et finalement la délibération pour son non-renouvellement je l'ai eu grâce au vote des socialistes. Hors Collomb. Mais aujourd'hui ce n'est pas à moi d'évaluer si les directeurs doivent être là ou pas. J'avais fait mon travail. Je trouvais que les Célestins faisaient trop appel au théâtre privé. L'évolution des Célestins a été incroyable au niveau de la programmation.

Lyon est devenu en 20 ans une ville de festivals (Nuits sonores, Sens Interdits, Lumière…) et d’événements en parallèle du développement du tourisme. Etait-ce une volonté conjointe ?
Il est évident qu’un festival souligne le rayonnement de la ville et la place qu’elle veut occuper dans la culture. Quand j’étais publicitaire, on ne voulait pas exploiter la cuisine à Lyon. Il ne fallait pas en parler, c’était dévalorisant. Aujourd’hui, on ne parle que de ça car la ville est devenue touristique et le classement à l’UNESCO (en 1998) a joué un rôle fantastique.

J’ai mené ce dossier du patrimoine avec Régis Neyret, déjà défenseur du Vieux Lyon. Je l’avais pris car je n’y connaissais rien. On avait décidé d’obtenir le classement UNESCO pour ce quartier-là. C’est l’UNESCO qui a nous a proposé d’aller au-delà de ce périmètre en incluant la Presqu’île car ils se sont aperçu qu’il y avait plusieurs villes italiennes qui auraient pu supporter la comparaison avec le Vieux Lyon.

Rapidement, ça a changé la façon d’être touriste à Lyon ?
Oui, ça a été énorme. Avant cela les tours operators proposaient à leurs clients de les arrêter à Lyon à midi pour manger seulement. Les Lyonnais trouvaient ça pas mal. Ils vendaient eux-mêmes Lyon en disant que c’est à deux heures de la montagne et trois heures de la mer. Donc, on justifiait la ville à la vitesse à laquelle on la quitte ! Quand il y a eu le classement, tout a changé. Maintenant le tour operator n’a plus besoin d’argumenter. Il s’arrête à Lyon car elle est inscrite au Patrimoine mondial. C’est un sésame. À la fin de la première année, le nombre de nuitées avait bondi de 20%. Et ça reste.

Pourtant il y a eu une antinomie entre la culture et le tourisme. Je me souviens du commissaire d’une biennale d’art contemporain qui avait fait une très belle biennale avec des œuvres connues, sans risque. C’était réussi. Lors d’une conférence de presse de bilan, je dis que ce succès s’est traduit par une augmentation de la fréquentation et des nuitées. Mais il m’a assassiné en prenant la parole. L’aspect économique n’était pas acquis pour les personnalités culturelles. Moi je le prenais comme une donnée, comme une conséquence.

Parallèlement, la ville s’est métamorphosée urbanistiquement (berges du Rhône en 2005, rives de Saône en 2013, Confluence…)
Une ville doit valoriser les points positifs de son histoire. Le fait de revenir sur les fleuves est extraordinaire. Je suis d’une époque où je me baignais dans la Saône. Il y avait 15 ou 17 piscines en plein centre. Il n’y a que deux ou trois villes qui ont un confluent dans le monde dont Lyon. Sur ce thème-là, quand j’étais président de l’office du tourisme, j’ai soumis à Collomb un événement qui allait s’appeler La Fête des fleuves, un festival d’art de la rue mais avec l’eau, comme des arts de l’eau. Mais pour cela il fallait dégager l’accès au fleuve, supprimer les voitures. Je ne sais pas si cette idée d’aménagement des fleuves est née de là mais cela n’existait pas à l’époque de Barre. Alors que Raymond Barre travaillait déjà sur le Confluent.

À vos yeux, qu'est-ce qui a le plus changé en 20 ans ?
Précisément l’aménagement du territoire. On n’y pense plus, on est dedans mais j’écoute ce qu’on me dit et ce qui se passe au Confluent est dément. J’ai toujours été surpris par la prédominance de la basilique de Fourvière. C’était l’image-type de Lyon : les curés. Cette histoire de la religion pèse à Lyon, il ne faut pas la jeter au panier. Les racines du 8 décembre sont là. Aujourd’hui la basilique est étouffée par ce musée futuriste, une belle œuvre contemporaine. Mais la ville s’est affranchie de cela - plus de 50% des lyonnais ne sont pas nés ici, aujourd’hui.

La religion est importante mais elle ne donne plus le ton entier à la ville ; les Nuits sonores sont un peu le symbole du nouveau Lyon. De plus, la religion était très liée à la bourgeoisie. Quand j’étais ado, la bourgeoisie était très fermée et elle imprégnait toute la société lyonnaise. En tant qu’étudiant, qu’est-ce qu’on s’emmerdait, y’avait rien pour les jeunes. Tous mes copains qui venaient faire leurs études ici retournaient chez eux dès qu’ils pouvaient. On se morfondait.

La Fête des lumières est un événement étrange qui tente de faire la synthèse entre le tourisme, le religieux, le culturel. Vous vous souvenez de la façon dont Raymond Barre l’a fait émerger ?
On aime bien attribuer à un seul homme un événement mais même Francisque Collomb a commencé à faire bouger la ville en rendant obligatoire la rénovation des façades et a changé le visage physique de Lyon en en faisant une ville florentine. Michel Noir a fait des parkings et le plan lumière (éclairer ces façades). Sous Barre, avec Chabert, adjoint à l’urbanisme, on discutait du Festival de la Fête des Lumières (ça s’appelait comme ça alors). Et la première Fête des Lumières sur quatre jours a eu lieu en 1999.

Lyon se caractérise par sa grande continuité dans l’action pour la ville. Il n’y a pas eu un maire qui a détruit ou stoppé ce que son prédécesseur avait fait. Et les projets ont été prévus à long terme. Cette continuité a son pendant peut-être négatif qui est de rester raisonnable. Mais la ville a été bouleversée, elle a su prendre le virage de la jeunesse. Durant mon mandat j’ai essayé de faire des artistes des rois de l’affaire. Sans artistes, pas de création. Ça a toujours été mon credo.

Quel est votre quartier préféré de Lyon aujourd’hui ?
Celui où je frémis un peu est les quais de Saône entre la passerelle Saint-Vincent et le pont Bonaparte. J’en raffole. C’est où je nageais dans l’eau, où j’ai des souvenirs extraordinaires. C’est l’âme de Lyon. C’est pour ça qu’il serait intéressant qu’il se passe quelque chose sur les fleuves, ce serait un bel événement. Et ça ferait travailler les arts de la rue.

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