Courants d'ère

Musique / Le duo électronique anglais Autechre continue d’imposer une musique émouvante et intelligente qui tourne le dos aux modes et au cynisme ambiant, et préfère la profondeur à la superficialité. Christophe Chabert

La tyrannie du dancefloor nostalgique a emporté avec elle les utopies musicales des années 90. Mais elle n’a pas balayé les utopistes qui persévèrent dans l’idée qu’on peut à la fois toucher le cerveau et libérer le corps. Et il suffit de plonger quelques minutes dans le nouvel album d’Autechre pour comprendre que cette utopie-là, qui prend soin de se situer hors des caprices de la mode, parle en fait en profondeur de notre temps présent. C’est une musique de fragments sonores, de réseaux brisés et reconnectés, d’espaces invisibles et virtuels dans lesquels les mots — mais on devrait plutôt parler de verbe, au sens poétique et philosophique du terme — se perdent comme dans un gouffre, où les notes ne sont plus que des ondes tremblantes brouillant les repères de l’auditeur. Depuis quinze ans, Rob Brown et Sean Booth explorent l’abstraction électronique avec une constance et une intégrité jamais prises en faute. De leurs premiers essais ambiant jusqu’aux déluges soniques massifs et chaotiques de leurs trois derniers albums, la discographie d’Autechre est la peinture d’un paysage post-industriel où l’humain ne trouve plus sa place que comme une masse d’émotions en fusion. Un tableau qui ressemble à la ville de Sheffield que Brown et Booth n’ont jamais quittée, mais dont ils chercheraient à retranscrire l’essence plutôt que d’en faire la chronique, laissant ce privilège à quelques rockers locaux à la prose talentueuse.Petits formats, grande musiqueQuaristice, la dernière livraison d’Autechre après quelques années de silence, représente un changement dans la continuité. Aux longs morceaux de bravoure des disques précédents succède une série de miniatures enchaînées de manière presque subliminale ; pour filer la métaphore picturale, le groupe passe ainsi du grand aux petits formats, sans renier pour autant sa philosophie musicale. L’abstraction envahit tout, jusqu’aux titres des «chansons», qui ne sont que des agrégats de lettres semblables à des algorithmes. Mais, au fil des écoutes, on peut aussi y voir un retour aux fondamentaux : une mélodie simple mais brouillée par des mouvements sonores parkinsoniens. En live, cette musique sait se faire plus accessible, suprême preuve d’intelligence de la part du duo : il en faut pour saisir que l’exigence d’une écoute attentive et répétée dans un environnement domestique n’a rien à voir avec la réception forcément parcellaire que l’on peut en avoir en concert. C’est l’ultime phase de leur utopie musicale : on peut même danser, sans contrainte ni attitude, sur du Autechre !Autechre«Quaristice» (WARP/Discograph)

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